samedi 23 avril 2011

Dambisa Moyo Part 1: l'aide qui tue.

J'ai annoncé dans mon dernier billet suivant mon retour du Kenya, ma découverte de plusieurs femmes africaines remarquables dont les idées me semblent d'un grand intérêt. L'attente dans les aéroports a parfois du bon, cela permet de faire des découvertes. Dans celui de Mombasa, pour vingt boutiques de décoration artisanale (animaux en bois sculpté et autres ...), il y en avait une qui disposait aussi d'un rayon librairie surtout constitué de livres sur les safaris ...

Et au milieu ceux-ci: Dead Aid: Why aid is not working and how there is another way for Africa écrit par Dambisa Moyo, erreur ou facétie ? Moyo a 42 ans, elle est économiste, diplômée d'Oxford et d'Harvard passée par Goldman Sachs et aussi par la Banque Mondiale comme Mme Gabre Madhin que je vous avais présentée il y a quelques mois. Vous pouvez acheter également le livre en français en cliquant ici: L'aide fatale : Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique

Moyo la Zambienne, contrairement à ce que la photo du New York Times ci-contre pourrait laisser croire, n'est pas une choriste de jazz. Et à la différence de Gabre-Madhin l'éthiopienne, elle n'appartient pas à la classe dirigeante de son pays. Née de parents cadres et universitaires, elle s'est expatriée pour ne pas subir l'incurie du régime. Pourtant, l'une et l'autre peuvent être caractérisées, puisque les français aiment tant les étiquettes, d'économistes libérales. Cela permettra tout de suite à certains vieux militants conservateurs crypto-marxistes de se voiler la face sans plus attendre. Moyo, elle, ne porte pas le voile et n'a pas froid aux yeux !

Des femmes d'action pour l'Afrique !
Ces deux jeunes femmes noires ont également en commun d'être des femmes d'action, compétentes, pragmatiques qui savent ce qu'est l'extrême pauvreté et qui évaluent la situation dramatique de l'Afrique et du monde telles quelles sont. Elles font la seule chose possible: elles encouragent les initiatives qui marchent et pointent ce qui ne marche pas y compris quand cela fâche la bonne conscience de leurs aînés des pays riches. Il semble d'ailleurs qu'en Afrique comme ailleurs, ce pragmatisme et ce courage soient décidément souvent une caractéristique féminine. La nécessité de la survie l'exige pour elles et pour leurs familles plus que pour les hommes de pouvoir d'ici et de là-bas. Permettez-moi à ce sujet de vous renvoyer aux propos d'un autre économiste africain: le Dr Ayitteh.
Voici maintenant une longue interview qui présente la thèse de Dambisa Moyo sur l'aide:

Au passage, je vous donne l'adresse du site de Fora TV qui est un média nouveau pour moi et que je trouve remarquable.

Que nous dit Dambisa Moyo ? Le cercle vicieux de l'aide.
  • En application du modèle du plan Marshall européen , un millier de milliards de dollars d'aide directe se traduisent en  40 ans par une augmentation de la pauvreté de 11 à 66%. L'idée de l'aide remplaçant l'épargne pour permettre les investissements a échoué totalement. Pour certains gouvernements l'aide représente plus de 50% du budget courant ! Pas question pour eux d'investir, il faut d'abord payer l'armée et les pots de vins.
  • Pire: l'aide concentrée auprès des gouvernements a encouragé la corruption et la bureaucratie et stérilisé les investissements du secteur public. La pauvreté résultante attire à son tour un peu plus d'aide ... Là se trouve le cercle vicieux.
  • Le nombre des personnes vivant avec moins d'un dollar par jour a augmenté en trente ans. Cela signifie des conditions de vie dans le dénuement total avec une diminution nette de l'espérance de vie.
  • D. Moyo raconte sa propre histoire: ses parents privilégiés ont été parmi les premiers diplômés de Zambie, elle a  donc eu accès à l'éducation mais malgré son haut niveau d'éducation, la famille Moyo du fait du sous-développement ambiant vivait tout juste au dessus du seuil de pauvreté. La jeune Dambisa a dû émigrer pour espérer une vie décente.
  • Alors que l'aide occidentale s'enracine dans la charité et la culpabilité, celle de la Chine vise le "business".
  • Le Charity Business de Bono et Geldoff ne procure guère d'emploi aux africains, or c'est cela qui compte bien plus que les dollars des paillettes du show business.
  • Les Etats africains ne sont pas plus petits ni fragmentés que ceux d'Europe par exemple. La question est de comprendre pourquoi ils n'ont pas réussi à mettre en place une intégration régionale qui pourrait leur profiter comme dans d'autres régions du monde. Réponse: dans ce cas, la manne de l'aide cesserait !
  • Il ne s'agit pas de refuser l'aide d'urgence, il s'agit d'être capable de choisir et de juger ses gouvernants sur la base de leur capacité à créer les conditions du développement durable. D'un autre côté, l'aide venant de pays sur-endettés comme les USA ou l'Europe ne peut aucunement être durable.
  • Si dans 5 ans l'aide s'arrêtait complètement ? Le sida et la malaria détruiraient l'Afrique ! Non, pas pour Moyo. L'Afrique est diverse et disposant d'un peu de temps, elle pourrait faire face elle-même. Comment ? L'agriculture, l'intégration dans le commerce international, le financement des investissements, la suppression des barrières douanières agricoles européennes et américaines...
  • Supprimer l'aide et libéraliser, supprimer le traitement privilégié des fonctionnaires pour éradiquer la corruption et gérer en pères de familles non en assistés ...
  • Renforcer les institutions existantes héritées du colonialisme et qui n'ont actuellement aucun pouvoir.
  • L'aide existe toujours pourquoi ? Pour l'instant les électeurs des pays riches ne sont pas contre mais l'état des finances occidentales changera la donne. En outre, l'aide est la contrepartie des barrières douanières.

Vous trouverez dans le site "un monde libre" un excellent résumé complémentaire et des commentaires en français sur le livre de D. Moyo lui-même.

Crache-t-elle dans la soupe ?
Certains lui font la critique de dissuader les riches de se porter au secours des populations en détresse à l'occasion de catastrophes ou de guerre ce qu'elle réfute car son problème est bien posé, elle s'attaque essentiellement à l'aide d'Etats à Etats et non aux actions humanitaires bien que celles-ci ne soient pas exemptes de nombreux défauts. D'autres lui reprochent de ne pas tenir compte de l'aide dont elle a profité en tant que citoyenne d'un Etat aidé. Elle rétorque que c'est l'aide qui a conduit les dirigeants de son pays à se conduire en assistés et à ne pas conduire les nécessaires actions de création d'infrastructures et d'incitations à la prise de risque entrepreneurial qui seuls permettent comme cela a été le cas en Asie la véritable création de richesses et donc le développement.

Et la démocratie ?
A tout prendre, il vaut mieux un tyran qui permet le développement qu'un autre qui en plus laisse son pays dans la pauvreté. D. Moyo va jusqu'à suggérer que le développement et l'emploi passent avant la démocratie ! L'exemple vient de la Chine ! En attendant, Dambisa Moyo rappelle qu'en tant que femme noire qui a souffert du despotisme, elle est adepte d'une vraie démocratie. Et pourtant , elle affirme préférer un dictateur capable de développer son pays que des démocrates de façade comme au Kenya, au Zimbabwe ou encore en Afghanistan ou en Irak qui ne survivent que grâce à l'aide. La démocratie se construit de façon organique avec le développement et non en échange d'une aide extérieure. Et vlan pour ceux qui la croyaient aux ordres de Bush ou d'Obama !

Comment son livre a-t-il été accueilli ?
Au top des ventes du New York Times, le livre a eu du succès au USA. Le Charity Business s'est senti attaqué et l'organisation "charitable" de Bono et Geldoff a lancé une campagne de dénigrement au vitriol. contre elle. Par contre, Paul Kagame, Président du Rwanda, l'a invitée à faire une présentation à son gouvernement et à sa haute administration sur le thème: "comment faire ?" L'Erytrée s'est  aussi montrée intéressée. Et vous ? Aviez-vous entendu parlé de cette petite bonne femme noire qui semble, en plus de tout le reste, avoir autant d'esprit  et de culot que Wooppy Goldberg ? 

Ma critique personnelle:
Apparemment pas grand chose dans sa réflexion sur la gestion des ressources et sur l'environnement.
Le timing et les moyens du changement lui-même ne sont pas vraiment traités. Tout arrêter en cinq ans est une vue de l'esprit.
C'est son passage chez Goldman Sachs qui me titillerait le plus mais ce n'est pas elle qui dirigeait l'entreprise ! Au moins, elle aura su rebondir.

Si vous voulez aider l'Afrique, financez ses entrepreneurs !
Si vous avez l'esprit de contradiction et que vous voulez faire des dons en Afrique, laissez dormir les Hippos et adressez-vous aux guépards du Dr Ayittey, aidez les entrepreneurs locaux, je vous fais trois suggestions:
  1. Tout d'abord allez voir le site d'Evans Wadongo créateur de la lampe à capteur solaire au Kenya.
  2. Ensuite, donnez une petite somme sur Kiva, un site dont parle D. Moyo elle-même.
  3. Si vous en découvrez d'autres faites-les moi connaître !
En quoi tout ceci nous concerne-t-il ?

De crises pétrolières, en crises financières, les brillants (et souvent bien payés) économistes blancs qui n'ont rien vu venir (même quand ils se présentent en "prophètes" qui affirment le contraire) ne savent toujours pas quoi proposer pour nous faire entrer dans ce qui s'annonce comme une nouvelle ère. Rappelez-vous ce que nous dit Michel Serres qui nous présente une perspective saisissante mais pas sans risques sur notre avenir collectif. Alors pour changer, pourquoi ne pas écouter  cette gêneuse qui a un vécu tout personnel de la misère et de la violence en Afrique ?
Enfin, depuis longtemps je me demande si pour les mêmes raisons de bonne conscience, d'erreurs de jugement, de laxisme repu ..., les mécanismes délétères de l'aide ne sont pas également à l'oeuvre au coeur même de nos "sociétés libérales avancées" comme on disait déjà à l'époque du président V. Giscard d'Estaing il y a quarante ans justement ! Il arrive un moment où le fait de systématiser les solutions qui marchaient à certains moments aggrave la nouvelle situation.

4 commentaires:

Mélanie Chambaretaud a dit…

Attention : la vidéo du billet ne dure que 10 minutes, pour voir l'intervieuw en entier (35 minutes), il faut aller sur le site Fora.tv. D'ailleurs, merci pour la référence.

Unknown a dit…

comme le souligne votre dernier paragraphe, ne peut-on pas changer d'échelle et passer à celle de notre société?
Sans remettre en cause le bien-fondé évident de la majorité des lois sociales, doit-on pour autant considérer un "droit à l'assistanat"? c'est là une question, non rhétorique mais bien réelle que je me pose. N'est-on pas passé de la solidarité à l'assistanat? Et la politique sociale en France aide-t-elle vraiment les gens dans la nécessité?

Didier Chambaretaud a dit…

Si je vous comprends bien Gauthier, je glisse dans votre sens, c'est ce que je dis à la fin de mon article. L'aide devient système, certains en sont exclus, certains en sont experts, le coût de sa maintenance est élevé et surtout comme l'indique D Moyo, il y a un risque qu'une partie des énergies se trouve stérilisée.

Pour ma part cependant, je crois qu'il faut rester modéré ici sous peine d'être taxé d'ultra-libéralisme... La solidarité ne devrait pas être assistanat systématique ni le laisser-faire total, elle devrait être intelligente. Je peux simplement témoigner, à l'occasion de missions pour la Banque Mondiale que l'aide notamment européenne en Afrique peut avoir eu comme conséquence de tuer dans l'oeuf une agriculture vivrière locale par ailleurs développée par ... un programme d'aide européen (Nord Cameroun, années 1986-87).
Cdt

Mélanie Chambaretaud a dit…

J'ai commencé "Dead aid" et lu les 10 premières pages. Excellente surprise, c'est vraiment facile à lire : le style est personnel et va droit au but, pas de tournures alambiquées qui font perdre de vue le sens. Très agréable !