vendredi 8 août 2014

Maginot et la globalisation

Le débat sur la remise en cause des professions règlementées illustre par le petit bout de la lorgnette à la fois notre très chronique difficulté à réformer et le fait que la pression pour le faire devient intenable.

L'impossible réforme

Notre "belle" Révolution française, mythe fondateur de notre identité nationale par excellence, s'est réalisée à la base contre les privilèges. C'est dans tous nos livres d'Histoire. On a saccagé les sacristies, envoyé les aristocrates à la lanterne et pourfendu les privilèges ... Le tout ayant ensuite servi de modèle à toute l'Europe ce qui nous a rendus si fiers...

Et avec quelle constance le 19e siècle puis le 20e ont-ils reconstitué ces privilèges sous les habits de la modernité ! Même réalisée dans le sang, il semble que notre société ne veuille pas de la réforme et soit attachée aux privilèges et aux privilégiés. Alors que penser des efforts de M. Montebourg pour les éradiquer ? C'est vrai que là au moins il est cohérent avec les idées de ses écrits (La Machine à trahir, Denoël 2000). 

Enfin, qui peut défendre le greffier d'un tribunal de commerce qui gagne 40 k€ mensuels ? Surtout quand on connaît l'inefficacité, la partialité de cette justice hors champ (constituée de juges non professionnels ...) et parfois même les détournements dont elle se rend coupable au détriment de ses justiciables ! Mais, soyons précis, il n'y aurait que 2 ou 300 de ces greffiers hors normes (à ne pas confondre avec les employés des autres tribunaux qui n'ont pas de tels revenus). Une goutte d'eau donc.

Mais il y a aussi les taxis, les opticiens, les huissiers, les notaires, les chirurgiens dentistes ... tous accusés d'être bien plus rentables que la moyenne des entreprises en France grâce à des règlementations adhoc qui les protégent. Objectivement, le rapport caché de l'Inspection Générale des Finances (pas lu car pas public !) ne semble pourtant trahir aucun secret, juste un tabou qui concerne tout de même plus d'un million de professionnels privilégiés (à des titres très divers). Parfois, il s'agit vraiment de résurgences d'un passé révolu comme dans le cas des greffiers de tribunaux de commerces (une charge qui remonterait à l'Ancien Régime !), parfois les choses sont plus discutables.

Ce qu'il faut vraiment prendre en compte pourtant, c'est cet incroyable conservatisme qui nous empêche de balayer les archaïsmes au fur et à mesure ... Cela finit par encombrer l'étable ! Le résultat coûte très cher au plus humble citoyen qui ne peut s'y soustraire. Et cela entraîne un manque de compétitivité économique qui se paye cash en perte de parts de marché et en chômage structurel.

Le petit bout de la lorgnette

Montebourg semble faire enfin œuvre utile cependant. Je retiens la petite phrase du ministre: "mon ennemi, ce sont toutes les formes de conservatisme". Le dossier est donc sur la table, soyons attentifs maintenant à la manière dont il sera sans doute enterré. Déjà sortir un tel sujet en pleine vacances d'été n'est pas bon signe.

Seulement, certaines de ces professions privilégiées ont une véritable utilité sociale et doivent être correctement rémunérées, et en outre, elles peuvent mettre la pagaille dans le pays. Jusqu'ici les gouvernements, à commencer par ceux de feu le Grand Général, n'ont pas osé se risquer à y mettre bon ordre pour cette raison. 

Ensuite, les français ont bien compris que les privilèges les plus coûteux sont ceux d'une Administration pléthorique, multiforme et multiniveaux et d'élus non représentatifs, impuissants et complices. C'est un autre dossier qui peine, lui, à venir vraiment sur la table. Or c'est là que s'exerce la pression de Bruxelles, des marchés, et des tenants de l'économie libérale globale.

La crainte est que le premier dossier (le petit) soit un leurre pour retarder encore le traitement sérieux du second (le gros). Montebourg a donc, comme souvent, pris le problème par le petit bout de la lorgnette ... mais au moins il l'a pris.

La ligne Maginot est en train d'être contournée

La réflexion que tout ceci inspire est que malgré l’atavique conservatisme français, la ligne Maginot des avantages acquis est en train d'être contournée. Comme disait Voltaire: "les français arrivent  à tout les derniers, mais enfin ils y arrivent !" (Lettres, 2 Avril 1764)

Fort de la Salmagne, fort de la ligne Maginot.

Réformer ce qui doit l'être est une nécessité si l'on veut s'adapter au changement de notre milieu. Si l'on ne fait pas les choses à temps, dans l'ordre, en transparence et sérieusement, on risque simplement de les faire trop tard, de manière anarchique, de façon cachée et sans réfléchir ! Et donc de créer de forts ressentiments, de faire de mauvais compromis et de mettre en danger ici et là des compétences utiles.

Le dossier des professions règlementées montre donc que des tabous sont en train de sauter. Prenons garde, pour filer la métaphore de 1940 jusqu'au bout, que d'avoir voulu résister par paresse et par esprit de caste en se fortifiant dans ses habitudes et ses avantages quand il fallait au contraire être mobile,  n'aboutisse à une nouvelle Occupation et à une nouvelle Collaboration !