vendredi 25 février 2011

Michel Serres: sur le rugby et le contrat guerrier

En prévision du "big crunch" (match Angleterre-France du tournoi des 6 nations), de Samedi, aujourd'hui je voudrais vous faire entendre Michel Serres, né à Agen en 1930, grand amateur du jeu de rugby et philosophe qui fait vraiment le lien entre sciences, société et droit.

Je le "convoque" ici pour poursuivre une réflexion sur le droit et l'écologie. Commençons par de courtes remarques sur le rugby comme illustration du contrat guerrier
En bref:
"Dans certaines phases du rugby, des joueurs deviennent spectateurs. Michel Serres compare cette situation au combat des Horaces et des Curiaces : un contrat social concernant la guerre est mis en place et un spectacle est créé à la place de la guerre. « Mêlée » se dit « scrum » en anglais, mot qui reprend l’escarmouche italienne : une petite fraction fait la guerre pendant que les autres ne la font plus." (in www.curiosphere.tv)

 La tradition définit volontiers le jeu de rugby comme un sport de voyous pratiqué par des gentlemen. Il illustre cette attitude commune à de nombreuses sociétés humaines qui consiste à s'accorder pour limiter la violence dans un espace clos et dans le cadre de règles précises sous le contrôle d'un arbitre. En cela la pratique du rugby, plus que le spectacle de celui-ci ,est une puissante pédagogie. Pour vaincre, il faut respecter les règles et l'adversaire et pour cela déployer son énergie en gardant le contrôle de ses émotions. Celui qui dégoupille est sanctionné et fait perdre son équipe ! Voyez encore ce que Michel Serres dit de la violence contrôlée dans cette seconde vidéo.

Michel Serres déclare que ce qu’il admire le plus dans les sports collectifs, c’est « l’apprentissage de la gestion de la dite violence ». Le sportif doit « apprendre qu’à l’extrémité de [s]on action violente [il] puisse immédiatement [s]’arrêter », faute de quoi il risque de faire perdre son équipe. Il n’y a pas de pédagogie plus réussie pour apprendre à un individu à gérer sa propre violence.(in www.curiosphere.tv)


En quoi cela nous concerne-t-il surtout quand on n'est pas rugbyman ?:
Dans Le contrat naturel, Michel Serres explique que notre propre violence guerrière mais aussi productiviste nous amène pour la première fois de notre histoire à voir venir la fin  de notre civilisation par la modification des grands équilibres écologiques. Comme des adversaires pris dans un combat au milieu d'une tourbière, comme dans le tableau de Goya représenté à droite. Chaque coup reçu ou porté enfonce chacun des combattants plus profondément ... N'ayant pu trouver de vidéo sur cette œuvre, je ne peux que vous suggérer ce livre déjà ancien (1990). Pour lire mon commentaire dans Amazon.fr, cliquez ici.

Il y a un deuxième enseignement de ceci. Rappelez-vous mes billets sur William Ury et sur Jean Pierre Massias qui traitent de la gestion des conflits et de la négociation. Il va nous falloir faire la paix avec nos ennemis bien sûr mais aussi avec notre planète. A un niveau individuel comme dans la pratique d'un sport collectif violent tel le rugby, comme à un niveau sociétal, il va certainement nous falloir apprendre à contrôler nos émotions et nos désirs pour inventer ce double contrat global: social et planétaire sans lequel nous ferons face à des situations peu souhaitables.

Enfin, dès que j'aurai son accord définitif, je vous présenterai ici le travail d'un ami, ancien rugbyman et consultant de haut niveau (pour les deux) qui utilise la métaphore du rugby pour réaliser la transformation des grandes organisations. Nous espérons aussi l'accueillir à TEDxMetz.

mercredi 23 février 2011

Marc Reeb: la mayonnaise de l'entreprise !

Toujours dans le but de faire connaître les initiatives TED, j'ai le plaisir de vous présenter quelqu'un qui "le Dit et qui le Fait" !

Marc Reeb est un entrepreneur de l'internet français co-créateur  de Caramail et de Viadeo qui tord le coup à de nombreuses idées-reçues sur l'entreprise du net et sur l'entrepreneur en général. Marc est aussi un investisseur qui a inventé avec Agregator un modèle mutuel original.


Voici:

                                            Marc Reeb à TEDxAlsace

Mots clefs:

Argent: pour Marc Reeb, le but de l'entrepreneur n'est pas l'argent.
Réussite: terme souvent beaucoup trop limité à la dimension patrimoniale, importance de la notion de plaisir et de la chance.
Pas forcément aller vite ni voir grand.
Valeurs importantes: humilité et partage !

Où l'on s'aperçoit qu'il n'est pas si facile de parler comme le fait Marc avec sincérité de la réussite. Le connaissant, je sais qu'il a mis ses tripes dans ce "talk" !

En quoi cela nous concerne-t-il ?

Tout d'abord, ce sujet recadre ce qu'est l'entrepreneur et l'entreprise et comme le dit Marc, nous sommes assaillis de fausses idées sur le sujet. Ensuite, pour les économistes, sociologues, financiers et autres professionnels de l'abstraction pseudo-mathématique, le propos de Marc Reeb nous ramène aux fondements de l'activité économique. Au nom de quelle pulsion névrotique et suicidaire faudrait-il s'imaginer que tout va s'effondrer parce que quelques banquiers ont créé une bulle financière dont les conséquences en chaîne atteignent nos collectivités locales et les Etats dont les dettes ne peuvent plus se financer ? Plutôt assainir la situation et permettre aux entrepreneurs d'entreprendre que d'en appeler aux manes de Marx, de Keynes et de Freud réunis...

dimanche 20 février 2011

Résilience Part 2: Johan Rockström sur les 9 seuils planétaires

Ce sera aujourd'hui mon deuxième article sur la résilience, terme pris ici dans son acception écologique en application des principes présentés dans mon précédent article sur la résilience. Johan Rockström dirige le Stockholm Resilience Centre et s'exprime ici dans le cadre de TED Global en Juillet 2010.  Voici donc sa vidéo:

En résumé:
De façon à mon avis mieux argumentée et plus pragmatique que les professionnels de l'écologie médiatisée, Johan Rockström explique en quoi il est urgent d'agir mais aussi précisément sur quoi et de quelle manière. Compte tenu de la courbe de croissance accélérée que l'on observe dans tous les domaines sensibles de l'environnement, choisir de ne pas tenir compte de la crise environnementale n'est évidemment pas possible. La planète est en effet soumise à 4 stress majeurs et simultanés: 
  1. les détériorations actuelles sont le fait de seulement 20% les plus riches de la population de la terre, les 80% restant voulant logiquement accéder aux mêmes niveaux de consommation et de bien-être.
  2. Le climat est déjà en train de changer.
  3. L'écosystème en général se détériore et non seulement le climat.
  4. Nous découvrons avec surprise que ces phénomènes sont le résultat de multiples interactions et ne peuvent être traités par une approche linéaire et causale classique .

Après avoir rappelé ce qu'est un système résilient, Johan Rockström souligne que dépasser les seuils de résilience transformerait radicalement le système, créant une situation où apparaîtrait par exemple la possibilité d'une nouvelle extinction massive, la sixième.

Pour vivre dans cette nouvelle ère qu'il nomme "Anthropocène" ou ère de la planète dominée par l'homme, Johan Rockström nous conseille maintenant d'agir en nous inspirant de ce qui a marché à titre d'illustration pour l'agriculture à base de paillis en Amérique Latine ou pour le sauvetage de la Grande Barrière de Corail Australienne. Pour cela, il convient d'agir sur la totalité des 9 axes ci-après en reversant toutes les courbes pour ne pas passer les seuils fatidiques.

Les 9 limites à ne pas dépasser:
Le schéma ci-après illustre les neufs axes de travail. Vous voyez que le réchauffement climatique pour lequel le seuil est atteint n'est pas le seul sujet de préoccupation. En fait trois seuils critiques (en rouge) ont été dépassés. Pour lire l'article scientifique (en anglais) auquel se réfère Johan Rockström, cliquez ici.

Vous trouverez ci-dessous les 9 seuils tels que résumés selon les travaux du SRC:

1 - le changement climatique
2 - le taux de diminution de la biodiversité
3- l'interférence humaine avec les cycles azote /    phosphore
4 - la diminution de la couche d'ozone
5 - l'acidification des océans
6 - la consommation mondiale d'eau douce
7 - les changements d'exploitation des sols
8 - la pollution chimique
9-  la pollution atmosphérique par les aérosols

 En quoi sommes-nous concernés ?

Sauf à tout nier en bloc, on voit bien que nous sommes non seulement impliqués mais directement concernés par le problème. Mais au delà de cela, Johan Rockström nous renvoie à nous-mêmes pour résoudre le problème. Pour s'en sortir, il nous faudra individiuellement et collectivement:

  1. Adopter un nouvel état d'esprit et une nouvelle forme de gouvernance.
  2. Mobiliser nos ressources intellectuelles et physiques en allant dans le sens des solutions qui existent et qu'il convient d'identifier.
  3. Adopter mode "simplexe" et non avec une pensée linéaire et causale. Voir aussi le billet sur E Berlow.
  4. Développer une nouvelle économie fondée sur des paradigmes innovants qui seront autant d'opportunités pour les créateurs.

J'ajoute que les multiples constats et débats sur les "crises" ne me semblent plus d'actualité. L'action me semble être à l'ordre du jour. Pour aller dans ce sens un prochain billet sur la résilience nous amènera justement à parler des solutions et d'une nouvelle forme d'Economie.

mercredi 16 février 2011

Michel Levy-Provencal sur les media hybrides

Tendance du moment pour ce blog: l'apparition de billets sur ce que j'appelle "partage de la connaissance" dans lequel s'inscrit notamment le mouvement TED.

Michel Levy Provencal est notamment bloggeur, co-fondateur de rue89 et créateur de TEDxParis. et de Joshfire. Grâce à Salah Benzakour et à Martine Zussy, il présente ici à TEDxAlsace sa vision actuelle des media hybrides.Voici:


              M. Levy Provençal à TEDxAlsace

Média hybrides : "des amateurs créent le contenu, des journalistes valident et mettent en forme ..."
Depuis il y a eu l'explosion des réseaux sociaux qui permettent l'émergence de nouvelles singularités. TEDx se situe dans cette logique nouvelle qui consiste à faire émerger les signaux faibles avant que ceux-ci ne deviennent l'événement. Retenons pour illustrer l'allure de ces nouveaux médias, que pour MLP, nous sommes passés de "la tour d'ivoire au village de huttes". Pour lui, il y a encore beaucoup à faire.

En quoi ceci nous concerne-t-il ? 

Tout d'abord, j'avais promis de donner peu à peu des compléments d'informations sur TEDx, je le fais. Certains de mes lecteurs en lisant mon précédent billet sur Bernard Mariette ont été étonnés de découvrir qu'il existait des TED en français ! C'est d'ailleurs l'une de mes ambitions que de les faire mieux admettre dans la communauté TED.

Ensuite, MLP indique ici une voie possible pour ceux qui ont décidé qu'il est préférable de saisir les opportunités du temps présent plutôt que de se lamenter sur la fin de leur monde tout en se réjouissant de l'auto-destruction du système financier et de la société capitaliste réunis ...  Comme nombre d'intervenants de TED, MLP vous propose de vous saisir de ce qui est à votre portée, "isme" ou pas, et de vous en servir pour inventer le monde (meilleur ou pire) qui sera le nôtre demain. 

Il reste des gens un peu en retrait ou simplement amers pour vouloir débattre pour comprendre qui manipule qui, comment derrière l'apparente ouverture se dissimule une nouvelle internationale du formatage des consciences ... Qui formate la rue Tunisienne ou Egyptienne ? Je ne sais pas. Peut-être personne. Nos dirigeants, se confondent en excuses dans les médias traditionnels en disant qu'ils n'avaient pas vu venir le phénomène sinon, ils n'auraient sûrement pas voyagé dans un avion ou séjournés dans un hôtel appartenant à la famille de l'un ou de l'autre des dictateurs.

Un conseil:

La vérité, comme nous le dit MLP, c'est que les médias ont également changé de forme. Ils peuvent faire et défaire des régimes en déclenchant en réseau (voir l'article sur N. Christakis) des formes d'actions très efficaces et jusqu'à maintenant de façon plus "propre" qu'à l'époque des tracts ronéotypés ! Laissons les vieux militants à leurs vieilles lunes et les vieux régimes à leur lente agonie et tirons les leçons des phénomènes qui nous crèvent les yeux. Les transformations silencieuses dont nous parlions à la suite de François Jullien, apparaissent soudainement aux yeux ébahis de la grande presse traditionnelle.

samedi 12 février 2011

Résilience et lâcher prise, Part 1: principes et hypothèses

A plusieurs reprises sur ce blog, j'ai parlé de politique environnementale en évoquant par exemple les idées de Serge Latouche ou de Tim Jackson sur l'a-croissance ou l'expérience de la Famille Baronnet sur l'autonomie. Cela fait quelques temps déjà que je voulais aborder le thème de la résilience et de la résilience climatique en particulier celle qui nous permet d'explorer des pistes d'actions nouvelles. Avant de la définir, je voudrais préciser qu'il est important de savoir faire un pont entre les disciplines.

Le pontage interdisciplinaire :

Le terme vient de la physique, il désigne la capacité d'un métal à reprendre sa forme après déformation. Il est très usité en psychologie par analogie pour désigner la capacité d'un individu à prendre acte d'un traumatisme pour poursuivre sa vie sans dépression ou autre trouble. le psychanalyste et éthologue Boris Cyrulnik a écrit un livre très intéressant sur ce sujet en partie fondé sur son expérience vécue personnelle: La Résilience ou comment renaître de sa souffrance ?. Il est utilisé dans le domaine à la fois des sciences sociales et de l'écologie pour désigner la capacité d'un système à s'adapter à des modifications ou à des chocs. C'est dans ce dernier domaine que des avancées ont été réalisées. Qu'il me soit ici permis de mettre en avant les travaux du Stokholm Resilience Centre dont est tirée une partie des informations de ce billet et qui rapproche sciences humaines et sciences de la nature.

La polémique climatique:

Peut-être aviez-vous suivi l'affrontement médiatique entre deux tendances scientifiques à propos du réchauffement climatique. Débat déformé encore plus par les grands media et ayant abouti à ...rien de tangible dans la foulée du non-événement de la conférence de Copenhague. D'un côté, Jean Jouzel et le GIEC Le climat : jeu dangereux : Dernières nouvelles de la planète focalisant sur le réchauffement climatique dont la réalité ne semble plus contestable. De l'autre, se trouvait Claude Allègre L'imposture climatique : Ou La fausse écologie et une partie des scientifiques du Collège de France, non-climatologues contestant la validité scientifique des résultats des modèles des premiers et pointant non sans raison l'importance de prioriser les actions non pas pour stériliser la croissance mais conduire notre société à s'adapter.

Il semble que le GIEC se soit calmé et que C. Allègre ait fait amende honorable. Le débat est clos mais la mer monte toujours. Alors je vous propose de regarder successivement vers le Nord puis vers le Sud où le débat est plus constructif !

Illustration et définition:

La résilience dont nous parlons concerne la capacité d'un système (social ou environnemental) à s'adapter à des traumatismes environnementaux et à re-développer un écosystème compatible.

La résilience selon le Stockholm Resilience Centre:


Selon le professeur Stephen Carpenter, la résilience consiste à répondre à la question suivante: "combien de transformations un système donné peut-il supporter avant de changer de nature ?" La résilience permet au système de: résister à un choc, s'adapter à de nouvelles conditions et transformer la vie elle-même quand les conditions sont radicalement différentes.

La métaphore physiologique qui explique la résilience:



Brian Walker de la Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation pousse l'explication en s'appuyant sur la métaphore du corps qui dispose de mécanismes auto-organisés pour maintenir ses capacités. La résilience c'est cela. Tant que la bille fluctue à l'intérieur du bol sans dépasser les bords, le système revient à son équilibre de départ. Si elle passe par dessus, le système peut se réinstaller dans un nouvel équilibre (un nouveau bol avec de nouveaux seuils) mais c'est alors un autre système. Pour stabiliser un patient en chirurgie, on crée un petit "bol" intermédiaire et l'observation sur des rats montre que cet état est instable. Le corps cherche constamment à revenir à l'intérieur de ses seuils habituels. S'il y parvient, le corps survit. Si le corps évolue vers d'autres seuils, le nouvel état stable atteint est malheureusement la mort. 

L'expérience sur les rats a montré de façon irréfutable que la meilleure façon de renforcer la résilience du corps était de le laisser tester ses limites. Un peu comme vaccin qui renforce les défenses du cops en y développant une forme affaiblie de la maladie. De cette façon, il a bien plus de chances de revenir à l'équilibre. Qu'est-ce qui fait que nous parvenons à maintenir notre température corporelle autour de 37° et que de ce fait les mammifères ont supplanté les reptiles ? Le fait que sans arrêt, ces limites ont été testées et d'innombrables "feedbacks" ont été enregistrées dans la biologie et les comportements des mammifères, les rendant plus compétitifs que les animaux à sang froid  ! Voici un livre du CSIRO sur le climat, cette fois c'est vers le grand Sud que nous regardons: Climate Change: The Science, Impacts and Solutions
Lâcher-prise !

Soulignons cette idée de Brian Walker en forme de paradoxe: "la meilleure façon de protéger une forêt contre les dégâts des incendies, ce n'est pas de la mettre sous cloche, c'est de la brûler de temps en temps !" Ceci afin que le système teste ses seuils et apprenne à revenir à l'état initial. 

Dans le domaine économique, j'anticipe que certains vont pouvoir dénoncer une nouvelle manoeuvre des "ultra-libéraux". Mais lâcher-prise ce n'est pas laisser faire, lâcher prise pour favoriser la résilience c'est créer les conditions de possibilité du retour à l'équilibre. Lâcher prise pour stimuler la résilience, ce n'est  donc pas non plus s'en remettre à la "main invisible", c'est raisonner en connaissant les seuils de réaction du système et les limites de ce qu'il peut encaisser. On peut parfois accepter de brûler la forêt pour la faire renaître. 

Nous reviendrons sur cette idée qui donne des effets aussi sur le plan psychologique individuel.

En quoi ceci nous concerne-t-il ?

Tout d'abord afin de tendre une perche à tous les spécialistes qui s'épuisent en vains constats sur la crise, nous avons ici une discipline qui prospère en utilisant l'interdisciplinarité. Inspirons-nous de ces travaux pour guérir notre économie et nos entreprises en risque de perte de résilience.
Voici les références du livre du professeur Walker qui parle dans cette dernière vidéo: Resilience Thinking: Sustaining Ecosystems And People in a Changing World Il nous met sur la voie d'une façon de penser, résiliente.

Je prépare une suite à ce billet qui sera consacrée aux travaux du professeur Holling qui complètera notre compréhension de la résilience de la planète grâce aux neuf critères sur lesquels travaille le Stockholm Resilience Centre. Stay Tuned !

dimanche 6 février 2011

Bernard Mariette: Faire du Bien en faisant de l'Argent

Je vous avais annoncé de nouveaux billets prenant appui sur les conférences TED francophone. Voici  donc Bernard Mariette que j'ai rencontré à Biarritz le 13 Novembre et dont j'ai aimé autant la conférence que la conversation off.

Voici son intervention, l'émotion que l'on entend dans sa voix n'est pas feinte, écoutez bien ce qu'il nous dit:


Je lui ai notamment demandé :
"Bernard, comment peux-tu décider de toi même ce qui est le Bien, ce qui est bien pour les autres ?"

 Sa réponse:
"Ma grand-mère est originaire d'Asie du Sud-Est, quand je vais là-bas et que je vois des gamins marcher pieds nus dans le marigot et que les stats de l'ONU montrent que les coupures aux pieds sont la première cause de décès par infection, je me dis que je n'ai pas à réfléchir beaucoup pour savoir ce qu'il faut faire. Faire le Bien, c'est juste faire ce qu'il faut, donc ici nous donnons des chaussures, demain nous les fabriquerons sur place !"

En quoi ceci nous concerne-t-il ?
Bernard fait partie de ces accidentés de la vie qui ont rejoint  les cohortes des héros du quotidien qui ne seraient que 1 sur 35 selon le "Heroic Imagination Project". Seulement Bernard étant entrepreneur, il sait que l'on ne peut donner que ce que l'on a, donc il crée des entreprises qui donnent et qui gagnent de l'argent. Pas mal non ? Sauf si vous préférez dire qu'il s'agit de "Storytelling", détourner le regard et stigmatiser les autres, tous ces autres "qui ne font rien" et qui vous dépriment !

samedi 5 février 2011

Christian Salmon sur le Storytelling

Bonjour à tous, différents déplacements m'ont fait un peu négliger ce blog et pourtant j'ai en stock de nombreux sujets à partager avec vous. Aujourd'hui, je voudrais vous parler du "storytelling". Pour une fois cependant, je ne me contenterai pas de reprendre un auteur pour le faire connaître mais plutôt pour contredire l'usage déprécié qui peut être fait du terme et de la technique sous-jacente.

A l'occasion d'un échange sur le blog de Paul Jorion, je faisais part de mon enthousiasme pour les initiatives TED et de mon engagement dans ce sens. Comme le dit blog est souvent dédié à des articles très documentés sur la crise qui aboutissent à des constats sérieux engendrant surtout des commentaires attristés ou apeurés (d'autres disaient aussi "déclinologues"), j'ai entrepris de faire connaître TED dans cet univers où il détonne un peu. Il en est découlé de nombreux encouragements et comme toujours quelques critiques. J'en ai retenu une qui, bien qu'oreintée vers un dénigrement pessimiste, m'a permis de découvrir le "Storytelling". Cette personne après avoir fait un tour sur l'un de mes billets sur TED disait "bah, ce n'est que du storytelling".

Alors commençons par cette séquence émotionnelle tirée du "Heroic Imagination Project":
A votre avis, la personne sur les marches est elle une camée qui ferait mieux de se reprendre ou allez-vous chercher des secours ? A vous de vous déterminer ! Quand vous voyez ces images, vous dites-vous: " "ces images sont une odieuse manipulation produite par quelque secte ou lobby politico-religieux" ? ou "c'est pas possible, il faut faire quelque chose!" A vous de vous déterminer. Pour l'instant le score est de 35 indifférents contre 1 "manipulé" ! Où se trouve l'urgence à votre avis ?


Storytelling et TED
Alors qu'est-ce donc que ce fameux storytelling, mot à mot "raconter une histoire" ? Voici ce qu'en dit le site définitions-marketing:
"Le storytelling est littéralement le fait de raconter une histoire à des fins de communication. Dans un contexte marketing, le storytelling est le fait d’utiliser le récit dans la communication publicitaire.
Le storytelling consiste donc à utiliser une histoire plutôt qu’a mettre classiquement en avant des arguments marque ou produit. La technique du storytelling doit normalement permettre de capter l’attention et de susciter l’émotion. Elle peut également être utilisée pour élever la marque à un rang de mythe.
Le storytelling peut utiliser des histoires réelles ( mythe du fondateur ou de la création d’entreprise) ou créer des histoires imaginaires liées à la marque ou au produit."
TED est-il du storytelling ? Oui car chaque intervenant y raconte une histoire simple sur un sujet souvent ardu mais passionnant et "inspirant". Que cela puisse servir des intérêts commerciaux est une possibilité mais non, ce n'est pas un but et l'évènement TED s'attache précisément à éviter de servir de la publicité commerciale dans ses "talks" dont le contenu est libre, seulement contraint par un format très professionnel.

L'actualité du storytelling
Pourquoi cette technique publicitaire vieille comme le monde d'ailleurs sort-elle ainsi du chapeau dans une tentative, à mes yeux naïve de discréditer ce type d'initiative.

Tout d'abord, comme le montrait Mercredi 2 Février un reportage diffusé sur Planète, le phénomène des festivals de contes plus ou moins folkloriques s'est fortement développé ces dernières années dans le Middle West américain (cela existe aussi en France sans rapport avec le phénomène américain). S'en inspirant probablement un peu, les publicitaires ont développé une technique portant le même nom qui fonctionne très bien. Le milieu politique américain a proposé à G Bush d'engager des spécialistes de cette technique pour justifier les guerres d'Irak et d'Afghanistan. Avec succès, au point que les autres dirigeants alliés ont repris à leur compte dans les discours ces petites histoires avec des variantes toutes aussi peu vérifiées les unes que les autres, le reportage de Planète stigmatisait Tony Blair et Nicolas Sarkosy à juste titre. Repéter une anecdote au demeurant non vérifiée ne peut en effet tenir lieu de démonstration  Il ne peut en effet s'agir  en l'espèce que d'une manipulation.

Il est donc de bon ton et logique de stigmatiser cette manipulation politique qui quelques années plus tard sort au grand jour et dont Nicolas Sarkosy semble un adepte. 

Le storytelling est-il manipulatoire ?
Poser cette question est à mon avis très naïf ou manipulatoire. La question est beaucoup plus large, pourquoi s'en tenir à une seule technique ? Il faut englober dans la critique toute technique publicitaire mais aussi toute forme de communication, commerciale ou non. Toute communication vise à obtenir un effet, elle est donc manipulatoire par essence. La condamner est aussi absurde que de condamner les marteaux au prétexte qu'ils peuvent aussi servir à fracasser des crânes ! Tout dépend de l'intention et du but. 

Par conséquent, cette question n'a de sens qu'en prenant un pas de recul et en se demandant ce qu'elle vise elle-même. La question apparaît alors comme une manipulation très courante dans de nombreux raisonnements intellectuels et qui porte en réthorique le nom de la figure très connue de l'amalgame qui consiste à associer un mot à une charge émotionnelle véhiculée par un contexte, une autre idée ou une référence tierce. Ici "storytelling" devient synonyme des manipulations voulues par les conseils en communication de quelques dirigeants, on confond alors par esprit partisan l'outil et sa destination. Tout marteau devient ainsi pièce à conviction d'un crime inévitable.  Que le bricoleur du dimanche et le charpentier se débrouillent pour enfoncer leurs clous avec leurs doigts !

Par le même procédé, toute communication serait manipulatoire et toute histoire racontée en public ou via un media serait chargée d'une émotion forcément nocive. Qui manipule qui au juste à votre avis ? Revenons au sens des mots, au bon sens autant que possible et arrêtons à coup de bien pensance manipulatoire de jeter les bébés avec l'eau de leurs bains ! TED n'est pas Bush et d'ailleurs Bush lui-même a regretté avoir utilisé cet outil dans ces circonstances ...

L'intellectualisation de l'affaire 
Un sociologue à mon avis digne d'intérêt du nom de Christian Salmon a entrepris plutôt à juste titre de dénoncer l'usage politique mal intentionné de cette technique du Storytelling dans l'ouvrage suivant:
Storytelling : La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits
Je vous propose cette vidéo pour une version courte par l'auteur lui-même de l'histoire du storytelling. Pour une version longue du Storytelling du storytelling en français traduit en anglais:


Si vous souhaitez la version pragmatique d'un publicitaire chevronné que j'ai eu l'occasion de rencontrer jadis, je vous propose de Georges Chétochine l'ouvrage suivant: Le storytelling en action : Transformer un politique, un cadre d'entreprise ou un baril de lessive en héros de saga !
En quoi tout ceci nous concerne-t-il ?
Débat un peu dépassé entre sociologues et publicitaires se renvoyant l'anathème et se faisant tous connaître ainsi de leurs prospects ... Pourquoi vous en parler alors ? 
D'abord, parce qu'il serait injuste de voir des évènements TED ou autres disqualifiés ainsi. Ensuite parce qu'il s'agit d'un sujet qui concerne toute forme de communication et donc de lien entre humains où l'émotion joue un grand rôle sinon le rôle majeur. Nous ne pourrons progresser dans nos activités et nos relations humaines sans en prendre conscience et en comprendre les rouages.
Enfin, une fois de plus, la critique est seulement symétrique et inverse de son objet sans rien apporter de neuf ni aucune proposition d'action si ce n'est de ne plus croire en rien et de se laisser aller à un pessimisme dépressif. Il existe heureusement aussi de nombreuses communications véhiculant des émotions positives propices à l'action bénéfique. A ce sujet je vous conseille chaudement les festivals de contes qui se déroulent un peu partout en France tous les étés. Ecoutez et faites-vous votre propre idée du Storytelling !