dimanche 15 décembre 2013

Jean Lassalle: la grande marche


Un député atypique a marché pendant 8 mois et 6000 km pour rencontrer les français. Retour sur ce
Jean Lassalle
périple qui vient tout juste de s'achever à Paris et lui a valu quelques minutes d'antenne de la part des grands media.

L'homme

Ce fils de berger est maire de son village des Pyrénées Atlantiques, Lourdios-Ichère (150 hab.), depuis qu'il a eu 21 ans. Député du modem, chose rare, il prend systématiquement des chemins de traverses: il interpelle Sarkosy à l'Assemblée en chantant, il fait une grêve de la faim de 41 jours couronnée de succès pour empêcher le départ d'une usine Sony de sa circonscription et maintenant ... il marche.

Et il attrape ampoules et rhumes mais rencontre aussi au hasard de son périple 20 personnes par jour qui ne sont pas intimidées et lui disent ce qu'elles ont à dire. Ajoutons que le personnage à tout pour me plaire: un accent basco-pyrénéen à couper au couteau, un fils qui joua dans l'équipe de France de Rugby des -21 ans, un charisme simple mais réel ...


Le message

Les français ont peur, détestent leurs élus et ne croient plus en l'Europe. On le savait. Il rejoint ce que nous disions dans nos articles antérieurs sur la détestation des élus et des élites (publiques et privées) ce qui nous met devant une crise de la représentation au sens large. Rien de nouveau non plus sauf que peut-être il y a le constat que les "vrais" gens sont peut-être plus conscients des réalités que ce que l'on croit parfois comme le montrent les bonnets rouges. Et puis il y a aussi le constat réel et direct que font par ailleurs mais en chambre, les sociologues à savoir la décomposition des liens sociaux qui faisaient la matière du pays. Quoi après alors ?

Périple de Jean Lassalle
Ce qui me plait dans cet élu pas ordinaire c'est qu'il n'affiche ni optimisme, ni pessimisme, il part de la réalité brute. Par exemple, quand des gens veulent lui cracher dessus ou quand on lui tient des propos racistes ou xénophobes, il ne se dérobe pas. Et les gens finissent par lui emboîter le pas et marcher avec lui.

De passage à Florange, photo Loreina TV
Les symboles

La marche: rappelez-vous il y a quelques mois, je republiais un livre de lecture pour enfants, livre de morale républicaine et nationale, qui racontait l'histoire symbolique de deux enfants alsaciens-lorrains qui marchaient pour retrouver leur identité perdue et celle de leur pays vaincu et dévasté après 1870 ... Jean Lassalle ne l'a peut-être pas fait exprès mais il retrouve-là une veine qui est peut-être bien celle de l'urgence et aussi celle d'après la violence.

La non-violence: il nous dit que les gens espèrent que ça va "péter" et qu'en même temps, il ne veulent pas devenir violents. Enjeu majeur que j'ai cité souvent dans ce blog. Pouvons-nous changer et changer le mode de changement aussi ? Il dit que oui car les gens qu'il rencontre sont conscients, en colère mais également qu'ils changent eux-mêmes à leur niveau. Qu'ils ont envie ... encore. J'ai lu un livre récemment qui propose l'idée de "vie-o-lence" ...

L'imperceptible: On entend les arbres qui tombent, les forêts qui brûlent, Jean Lassalle semble avoir essayé de regarder les brins d'herbes qui poussent.

Le "slow": j'entendais une femme chef d'entreprise récemment dire, en exprimant une souffrance non-jouée sur son visage que même dans les entreprises, on n'en peut plus de faire les choses toujours trop vite et que les salariés veulent enfin avoir le temps. Lassalle, lui, à 58 ans a marché à son pas c'est-à-dire lentement car son corps semble lui avoir imposé des limites et pourtant, il totalise déjà pas loin de 5000 personnes rencontrées ... plus que la plupart des échantillons sondagiers ...

En quoi sommes-nous concernés ?

Simple excentrique qui fait du buzz ou phénomène de fond qu'un sage atypique révèle ? Première remarque que l'on peut faire: "ah oui, c'est très tendance de marcher". Sans doute et le coup médiatique semble avoir fonctionné. Mais et si encore une fois cette réaction-là n'était de nouveau qu'une manifestation du syndrome de l'imbécile qui regarde le doigt du sage qui montre la lune ?

En tous cas, si l'heure est effectivement grave et qu'il importe de changer la société et le mode de changement avec, d'autres ont utilisé cette méthode, la Marche, avec quelques résultats. Souvenez-vous de ce que j'écrivais sur les chemins d'Abraham et il y a plus longtemps d'un certain Gandhi ...

Je vous suggère de suivre l'évolution de ce marcheur-fou ... peut-être pas fou du tout.

Pour en savoir plus: http://la-marche-2013.over-blog.com/

mardi 10 décembre 2013

La dynamique du capitalisme ou le triomphe d'un pays neuf !

La Dynamique du capitalisme de l'historien Fernand Braudel mérite d'être relu. Il traînait dans ma
F. Braudel, photo: ledevoir.com
bibliothèque et à l'occasion d'un rangement qui avance du coup bien lentement, je l'ai relu avec bonheur en ces temps d'incertitude. Voici pourquoi je vous le conseille.

Une belle synthèse d'une œuvre magistrale

1976: le programme commun de la Gauche en France avait 4 ans et n'avait pas encore produit ses effets électoraux. C'était l'année des conférences prononcée par l'auteur à l'Université John Hopkins sur la dynamique du capitalisme et réunies dans cet ouvrage (mon édition date de 1985 et nous commentons ici celle de 2008). C'est ce qui explique que l'on présente cet ouvrage comme une "introduction" à l’œuvre de ce grand historien qui était alors en train de finir d'écrire Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle. Tome 1: Les structures du quotidien. Une introduction ? Non une sorte de résumé plutôt en à peine plus d'une centaine de pages d'une œuvre monumentale en 3 tomes qui était déjà presque écrite et qui parut en 1979. Le premier mérite de cet ouvrage est donc sa concision qui n'en fait aucunement une ébauche, plutôt une synthèse.

Revenir au sens des mots

Son deuxième mérite est, surtout en regard de la période actuelle, de recadrer les mots et les pratiques dans le temps long (plusieurs siècles) et dans un espace déjà global (méditerranéen et mondial) en relativisant les prismes de notre moment présent. Songez qu'il ne s'est passé que 35 ans entre la publication du troisième tome du Capital de Marx (finalisé par Engels) et la grande crise de 1929 ! Et celle-ci est intervenue seulement 25 ans après la publication de L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max Weber. Peu de champ donc pour vraiment comprendre les ressorts du capitalisme ni pour extraire ses spécificités des crises de l'industrie lourde du Nord Ouest Européen des années trente.

Le mérite du temps long

Or, plus d'un siècle s'est maintenant écoulé depuis ces ouvrages fondateurs et à combien de crises et de mutations le capitalisme a-t-il survécu ? Pourtant, à court de repoussoirs, confondant marché, économie de marché, libéralisme, capitalisme et capitalisme financier nombre de nouveaux "penseurs", pris dans le moment présent, oubliant de se référer au sujet même de leurs thèses font du capitalisme ce qu'il n'est pas: un système. Donc un "isme" qui comme d'autres s'effondrerait si l'on se décidait à le combattre pour mieux faire sortir de terre de nouveaux "ismes" sans doute... C'est le troisième mérite de Braudel et de sa vision longue que de nous replacer dans une perspective historique qui transcende obligatoirement les crises et les débats conjoncturels et qui nous rappelle les grands "glissements" fondamentaux que nous ne voyons plus. Citation p 70:

"Ce glissement définitif, à l'extrême fin du XVIè siècle, de la Méditerranée aux mers du Nord, est le triomphe d'un pays neuf sur un vieux pays. Et c'est aussi un vaste changement d'échelle. A la faveur de la montée nouvelle de l'Atlantique, il y a élargissement de l'économie en général, des échanges, du stock monétaire, et, là encore, c'est le progrès vif de l'économie de marché qui, fidèle au rendez-vous d'Amsterdam, portera sur son dos les constructions amplifiées du capitalisme. Finalement, l'erreur de Max Weber me paraît dériver essentiellement, au départ, d'une exagération du rôle du capitalisme comme promoteur du monde moderne."

Et si, vieux que nous sommes, nos crises et nos malheurs, réels ou fantasmés, étaient le fait non pas d'un "isme" pernicieux ou simplement des autres mais simplement de notre difficulté collective accentuée par notre "grand âge" à nous adapter à ces glissements ?

En quoi ceci nous concerne-t-il ?

Je range donc ce "vieil" ouvrage, pourtant très actuel, sur un rayonnage à côté des réflexions plus récentes d'André Comte Sponville:Le capitalisme est-il moral ? : Sur quelques ridicules et tyrannies de notre temps.  Il nous aide en peu de pages à mieux comprendre une composante essentielle de notre modernité telle qu'elle est que l'on soit parmi les gagnants ou les perdants de celle-ci, que l'on l'aime ou non. La seule chose qu'il a manqué à Braudel dans cet ouvrage c'est le temps de s'apercevoir que le capitalisme se sera à peine ré-acclimaté à Shanghai et à Bengalore que sa dernière mutation le dispense désormais d'avoir encore à se localiser ...

jeudi 5 décembre 2013

La gouvernance française peut mieux faire

Suite à mes divers articles sur la Gouvernance démarrés par une réflexion sur la Morale Publique, voici une courte référence extérieure proposée par l'ONG Internationale "Transparancy": la France doit beaucoup mieux faire.

Transparency International France 

Cette ONG appelle à faire enfin de la lutte contre la corruption et de l’éthique publique une Grande cause nationale. Les coûts de la corruption en période de crise - pour les finances publiques, pour la confiance des citoyens - font qu’il y a urgence à mettre en œuvre un véritable plan national d’action.

Elle incite (voir ici) l'ensemble des citoyens mais aussi le gouvernement, les élus, les entreprises, et toutes les organisations de la société civile à soutenir son appel.

De quoi s'agit-il ?

De classer les pays selon la perception de la corruption pratiquée par ses représentants et institutions.


La vidéo ci-dessus décrit sa campagne de signatures actuelle en France, la suivante est un extrait de reportage réalisé par une chaîne africaine.


Qu'est-ce que cela nous apprend ?

Vous comprendrez que les faits visés par nos précédents articles relatifs à l'Ecotaxe et pas encore au centre du débat sur cette mesure fiscale relèvent bien de l'objet de cette ONG. Mais ils ne sont pas encore "perçus" par elle car aucun jugement n'est encore intervenu. Que dit le rapport publié cette semaine ? Le rapport pourrait être plus transparent lui-même sur sa méthode. Il décrit essentiellement la perception de la chose dans l'opinion et à travers l'arsenal judiciaire. Attention, ce point capital est généralement oublié par les journalistes simplificateurs. Je crains que le sujet ne nécessite une méthode nettement plus incisive. C'est pourtant déjà un début.

La France se place au 22ème rang mondial, 9ème européen, voici la carte:

Le rapport illustre son propos de cas jugés. Il indique que des lois et des mesures ont été prises récemment en France (qu'il reste à appliquer) et que donc les choses vont dans le bon sens mais que notre pays n'est pas ce phare planétaire que l'on se plaisait parfois à imaginer et à présenter en exemple au monde médusé ...

Ce sont sans surprise les partis politiques qui sont présentés comme les plus corrompus ...

L'arbre qui cache la forêt ...

Ce rapport a le mérite d'exister. Il a deux limites. Il classe un résultat qui confond un phénomène et la plus ou moins grande habileté de ses auteurs à le dissimuler ... Or notre toute puissante "Puissance Publique" est très habile et très complexe ... Ensuite, comme nous l'avons vu avec l'Ecotaxe et avec la Douane en général, il ne s'agit pas seulement de la corruption de quelques Cahuzac. Ce serait trop simple. Il s'agit certes de corruption de la part d'élus ou de gouvernants mais pas seulement et aussi de dysfonctionnements structurels et de profonde incompétence, terreau dans lequel la corruption prend alors plus facilement racine aux niveaux intermédiaires et subalternes.

En quoi sommes-nous concernés ?

Le rapport a une intéressante conclusion que je prends comme une hypothèse et non comme une vérité révélée. Il met en évidence que les pays les plus corrompus en Europe (Italie et Grèce) sont aussi les plus endettés ... Une piste donc qui semblerait nous indiquer que chasser la corruption de la maison n'est pas seulement une mesure vertueuse, bonne pour la Morale et le Salut de nos Âmes, mais qu'il y aurait peut-être une vraie corrélation entre corruption et qualité des résultats économiques et sociaux...