dimanche 1 janvier 2012

De la virilité aux vertus du jardinage !

Ce billet fait suite à mes réflexions sur l'évolution de notre cadre moral. J'avais pris pour support un film policier. Cette fois, je m'appuie sur un travail universitaire pour signaler une évolution significative de notre environnement social sur un sujet que je trouve voisin car il renvoie à l'ordre patriarcal de notre société.

Le code d'honneur des voyous n'est autre qu'une morale de l'action violente supportée par d'indéniables flots de testostérone. Cette morale-là n'opère plus non pas parce que celle des bourgeois a triomphé mais parce que leur socle commun se transforme avec la fin de la société et de la morale dites "viriles", c'est peut-être ce que nous suggèrent les recherches ci-après.

L'histoire de la virilité: 

Je viens donc de découvrir le travail d'un groupe de 40 historiens-chercheurs de l'EHESS qui publient une véritable "somme" sur  l'histoire de la virilité:

Histoire de la virilité : Tome 1, De l'antiquité aux lumières, L'invention de la virilité
Histoire de la virilité : Tome 1, De l'antiquité aux lumières, L'invention de la virilité
Histoire de la virilité : Tome 3, La virilité en crise ?, Le XXe-XXIe siècle


Voici une vidéo de Georges Vigarello, l'un des directeurs avec Alain Corbin de cet ouvrage phénoménal:


J'aime bien que l'on puisse parler dans le même ouvrage de Sparte, des guerriers de l'An II et du rugby actuel ... et j'aime bien penser que notre société et nos écoles sont capables de produire des réflexions de cette ampleur-là ! Je vais donc m'appuyer sur ce travail pour mettre en perspective les remarques que je faisais au sujet du film "les lyonnais".

Que nous apprennent finalement les chercheurs de l'EHESS ?

Eh bien, les valeurs viriles auxquelles se rattachent nos représentations de l'honneur et de l'héroïsme que les papis gangsters de mon précédent billet ne peuvent plus porter dans leur activité criminelle semblent finalement une illustration d'une évolution plus générale. La somme historique sur la virilité évoquée ci-dessus nous présente une transformation majeure et d'ailleurs pas si silencieuse en Europe. La domination de l'homme "viril" s'est exercée sur:
  • son propre corps et sur sa propre douleur,
  • sur son foyer et donc sur sa compagne et sur sa terre,
  • et, pour l'homme de pouvoir, sur les autres hommes de la tribu puis de la cité,
  • et, pour le combattant passant de guerrier à soldat, sur ses ennemis au champ de bataille,
  • puis, pour l'homme occidental, sur les autres cultures et continents,
  • et enfin par la technique pour l'Homme comme concept sur la Nature elle-même...("L'homme doit se rendre comme maître de la nature", Descartes, discours de la Méthode, sixième partie)
Or voici venir la fin de cette évolution:
  • la douleur sensible aux femmes selon la tradition (d'où le mot sensiblerie) le devient aussi aux hommes qui ne sont plus "durs au mal" mais qui sont hospitalisés avec des traitements anti-douleurs même sur le champ de bataille,
  • le foyer se recompose, la compagne a dû prendre son destin en mains,
  • l'activité n'est plus que rarement en rapport avec la terre autour de l'homme,
  • la guerre qui s'est faite un temps en rampant et non plus debout a lieu maintenant par drones et écrans interposés,
  • le colonialisme et les conflits violents sont officiellement stigmatisés (plus le droit de nier les génocides en France même si l'on est d'origine turque !),
  • et la domination par la technique de l'Homme sur la Nature touche à sa fin: le climat change et la mer monte ! 
En voici une critique qui me semble un peu trop centrée à mon goût sur la question du genre. En voici donc une autre qui se termine sur des considérations sportives et rugbystiques beaucoup plus dans mes goûts ! Mais je voudrais aller un peu plus loin.

Tout se passe donc comme si, au delà du travail réalisé depuis quelques décennies sur les "genres" (gender studies), c'est toute une morale, toute une posture de l'Homme vis à vis de son extériorité qui est peu à peu remise en question. Comme nos papis gangsters du film "les Lyonnais" qui ne peuvent plus être de simples héros "durs de chez durs" mais qui doivent choisir entre se ranger ou vivre en salops. 

Les sociétés antique, traditionnelle, moderne parce qu'elles étaient en perpétuelle croissance ou reconstruction, permettaient que soient exaltée la figure du "vrai homme". Maintenant que notre monde se tasse sur lui-même, demande de l'attention minutieuse et non seulement de l'énergie, le seul profil viril ne fonctionne plus. Peut-être le panachage en cours en Europe des valeurs traditionnelles viriles avec des valeurs plus "féminines" est-il annonciateur de changements subtils mais essentiels ?
    En quoi sommes-nous concernés ?

    La question est de savoir si cette transformation est une exception européenne ou un signe avant coureur d'une inflexion de l'humanité en général. Envoyons les raccourci:

    Les femmes voilées vont-elles, elles-aussi, décider de s'affranchir du pouvoir viril dans les autres cultures humaines comme je l'ai cru des femmes de la place Tahrir en Egypte ?
    Les extrémistes vont-ils avoir la frousse de revêtir des ceintures d'explosifs pour la Cause et avoir le bon sens de renoncer aux vierges du paradis des martyrs ?
    Les pauvres du tiers monde vont-ils accepter la perspective d'une sobriété heureuse plutôt que celle d'avoir comme nous une automobile et un frigo dans chaque foyer ?
    Les brésiliens (à titre d'exemple) vont-ils accepter d'arrêter la déforestation amazonienne et les bateaux usines russes de piller les fonds marins mauritaniens et malgaches ?
    Les très riches de partout vont ils se rendre compte que la répartition actuelle conduit à de terribles désordres sociaux au delà des questions momentanées liées au "système" financier ?

    Quand le gibier se fait rare, cessons de chasser, devenons jardiniers !

    Avec ces questions-là, on est loin de l'héroïsme viril, me direz-vous ! C'est justement parce que je suggère de jeter des passerelles entre ces diverses notions, toutes liées à la domination: de soi, de l'autre, de la matière, de la nature, de la société, de l'argent. Domination devenue vaine quand on constate partout que toutes ces choses s'usent si l'on n'y prête pas au contraire une attention de jardinier: la santé, les relations sentimentales ou autres, les ressources naturelles ... 

    Comme me le suggère mon ami Robert et cela aurait d'énormes conséquences potentiellement positives dans le champ du management comme dans celui de l'économie globale, sommes-nous peu à peu en train, en Europe, d'adopter les premiers une autre forme de pensée ? Ce serait un mode mixte qui aurait fait son deuil des excès de virilité, en s'adjoignant des valeurs féminines de tempérance. le tout permettrait désormais d'avancer en confiance de façon mesurée, raisonnée et respectueuse (comme le font plus souvent les gens d'âge mûr) dans un monde désormais perçu comme limité et fragile.

    "La vie est un Etat d'Esprit"

    Pour finir, voici  l'occasion pour moi de vous parler de l'un de mes films favoris, Bienvenue Mister Chance (Being There) avec Peter Sellers en 1979 (tiens, tiens fin des années 70s, comme par hasard):


    L'épilogue du film (ci-après) dit "La vie est un état d'esprit". Peter Sellers est décédé peu après la fin du film et sa tombe porte cette épitaphe justement ! 


    Cet Etat d'Esprit me semble le bon pour ouvrir les chantiers que Michel Serres recommandaient dans son dernier livre. Je me demande si ce genre de réflexions se retrouvera incarné dans les débats politiques qui s'annoncent. Ce pourrait être le premier des trois chantiers que j'annonçais le jour de Noël.

    Ce sera aussi ma façon de nous souhaiter une heureuse année 2012...
    déjà annoncée comme terrible,
    je suis certain qu'elle va être en fait la première de notre futur ...
    et je nous souhaite qu'elle soit celle de l'action avec un Etat d'Esprit adapté aux défis à relever.

    Bonne année à tous.

    4 commentaires:

    actionive a dit…

    Quelles incidences sur le comportement de prise de risque des hommes en entreprise?

    Didier Chambaretaud a dit…

    Il s'agit d'un travail d'universitaire qui n'est pas tourné vers le comportement individuel ni la mise en mouvement ... (je réponds ainsi à un autre commentaire en même temps).

    Cela devrait à mon avis plutôt jouer les défis ou les objectifs plutôt que sur la prise de risques. Une société plus mature, plus apaisée, cherche par exemple toujours à atteindre son objectif militaire(par exemple faire tomber Kadhafi) mais sans risquer la vie d'un seul de ses soldats.

    AurélienB a dit…

    bonjour,

    A le lecture de votre poste je me posais une question. La virilité n'est elle que domination?

    Le sens du mot virilité n'est il pas en évolution tout comme le role de l'homme au sein de son environnement, de sa famille.

    Ne devient-il pas un soutient, assumant ses forces et faiblesses?
    Et les mettant au service de son environnement?

    En tant homme d'aujourd'hui je me pose ces questions.
    Si la virilité n'a plus lieu d'être quel est notre rôle?
    Et quel est le meilleur moyen de l'assumer.

    Cordialement.

    Brunet Aurélien.

    Didier Chambaretaud a dit…

    Merci de cette remarque.

    L'ambiguïté de cet article vient de ce que je présente un travail d'historiens et de sociologues qui identifient des tendances de pensée qui déterminent ensuite des morales puis enfin des comportements et non pas un travail de comportementalistes.

    A l'échelle individuelle bien entendu, il ne s'agit pas de fustiger la virilité.

    La virilité est simplement identifiée ici dans sa tendance à la domination. Ce qui change aujourd'hui par exemple, c'est qu'on ne pourrait plus justifier le colonialisme au nom des doctrines nationales et religieuses "viriles" d'hier.

    Même dans l'entraînement des troupes délites aujourd'hui, on admet que le plus dur des durs peut avoir une faiblesse sans être une "gonzesse" pour autant ... enfin je crois.

    Je crois d'ailleurs que renoncer à certaines valeurs "viriles" comme le courage, la solidarité devant le danger, la résistance à la souffrance, le goût de l'effort voire du dépassement (et qui ne sont pas l'apanage des hommes) sont des valeurs qu'il ne faudrait pas perdre (pensez aux valeurs du rugby prisées des chefs d'entreprises...).

    A bientôt

    Simplement en Société, le curseur s'est déplacé.