vendredi 27 janvier 2012

Copier ou partager (épisode 3), après "Megaupload"

Kim "Dotcom" Schmitz
La fermeture de Megaupload et l'arrestation des fondateurs de ce site de téléchargement renvoient à la question de la copie: partage ou piratage ? Il faut y revenir car on peut certainement lire ce fait divers comme un succès de la lutte contre le crime organisé ou comme une tendance conduisant à un choix de société à l'échelle mondiale, peut-être en train de se faire sous nos yeux et sans nous. 

J'avais déjà partiellement traité ce point deux fois. Ici sous l'angle de l'organisation et de la liberté du partage du contenu et ici sous l'angle pédagogique mais cette nouvelle affaire nous pousse plus loin je crois.

Que s'est-il passé ?

Le site megaupload comme Napster en 2001 a fait l'objet d'une action en justice de la part de l'Etat américain et Tom Schmitz le fondateur et ses associés ont été arrêtés en nouvelle Zélande et inculpés de divers chefs: Voici d'ailleurs une reproduction du début des 70 pages de l'acte d'accusation:
 

Que va-t-il en résulter ?

Tout d'abord, notons l'accusation de blanchiment d'argent ce qui nous éloigne un peu de la notion que nous voulons débattre ici. Ce site ne pourra plus fonctionner ... directement et d'autres plus petits vont prendre la relève et voici d'ailleurs une liste non-exhaustive communiquée par nos amis spécialistes:
http://filesonic.com, http://mediafire.com, http://rapidshare.com, http://oron.com, http://4shard.com, http://hotfile.com, http://minus.com, http://zhare.com, http://yousendit.com, http://sharedigger.com,, http://rapidsearch.infobind.com, http://www.daleya.com, http://www.filestube.com, http://www.keotag.com, http://dscargalo.com, http://search.axiomcafe.fr, http://uprius.com, http://www.5fox.org, http://ddlsearch.free.fr, http://dlseek.free.fr, http://www.buskka.com, http://www.rsdown.org, http://www.leechaa.com ...

On serait donc tenté de dire qu'à part pour Kim et les siens, il s'agit pratiquement et pour l'instant d'un non-événement. 

Pour certains, il s'agirait d'un signe du gouvernement américain montrant sa détermination après d'autres événements récents. En effet, rappelons-nous (lire ici) que Mercredi 18 janvier, divers sites dont Wikipedia US fermaient symboliquement pendant une journée pour protester contre les projet de lois SOPA et PIPA, nous y venons juste après, mais tout d'abord ...

Mega-big Kim, gentil ou méchant ?
Sa société a profité des tentatives précédentes des gouvernements de limiter les possibilités de distribution gratuites en "peer-to-peer" notamment après la disparition de Napster en 2001. Il a donc l'apparence pour certains d'un Robin des bois du net. Pourtant, j'ai l'impression que télécharger depuis Megaupload n'était pas gratuit, en revanche, les droits des auteurs n'étaient pas respecté. Un peu comme si Big Kim revendait ce qui ne lui appartenait pas ... en attendant son extradition nous verrons ce que dire le juge américain.

Rappelons-nous aussi que précédemment, il a été condamné pour diffusion de cartes téléphoniques volées, diverses escroqueries et détournements incluant des changements d'identités et de nationalités burlesques mais qui lui ont cependant permis d'accumuler de quoi créer megaupload et ses avatars. La police néo-zélandaise aurait saisi plus de 50 M€ entre autres ... un robin des bois probablement assez peu soucieux de redistribution ! Je dirais donc que big Kim est probablement bien un gros méchant (sous réserve de confirmation, 2 de ses "complices" ont été remis en liberté le 26 Janvier...). Lire ici pour vous faire votre idée. Je n'ai donc pas trop envie de pleurer sur le sort de ce genre d'escroc mais ...

Un point marqué par l'industrie du "content"dans une longue guerre ...
Maintenant, revenons à SOPA et PIPA (lois plus vastes et plus poussées qu'Hadopi en France), voici ce qu'en dit Clay Shirky, un expert bien connu de TED depuis plusieurs années, il parle ici à l'occasion du dernier TEDxNewYork il y a quelques jours:


Intéressant de prendre un peu de recul. Le problème posé par l'internet ne serait donc pas si nouveau, depuis des lustres, les industries du contenu cherchent simplement à faire interdire la copie et donc le partage. Et nous voyons que déjà les appareils électroniques que nous achetons sont parfois bridés pour nous empêcher d'utiliser cette fonctionnalité de base qu'est la copie.

Pourtant l'internet ouvre des possibilités que cette industrie de 1600 milliards de dollars et qui fait 6,6% de croissance par an ne peut encaisser sans broncher. Lire ici une synthèse du rapport annuel de PWC sur l'importance et les tendances de cette industrie. La vieille dame a donc bien quelques moyens d'exercer de discrètes mais puissantes pressions. L'enjeu économique est donc majeur: comment faire payer à tous ce qu'ils pourraient auto-produire et partager gratuitement et librement ?

Ne nous limitons pas ici à nous lamenter sur ce qui serait bien ou mieux ... considérons avec André Comte Sponville que ceci n'est qu'un problème économique. La morale est donc absente de cette affaire parce que par nature la logique économique n'est pas morale. Le "bien" des artistes, de la grande majorité des artistes, est malheureusement situé très à la marge de ce débat. Le reste est une question de lobbying tout à fait apte à mettre en mouvement les justices et polices de nombreux Etats. Raisons de plus pour se poser les bonnes questions dès maintenant.

Un choix de société ?

Les "anonymous" (terroristes ou redresseurs de torts ?) ont diffusé une vidéo qui appelle à s'élever contre la mise en oeuvre de la censure sur le net, la voici. Heureusement, elle n'a pas encore été censurée ! Il est vrai que si nous n'y prenons pas garde tout sera breveté et revendu ou loué. Cette question renvoie donc, sur le fond, aux limites qu'il faudra consciemment et démocratiquement mettre à la marchandisation. A l'extrême, toute information sur le net, (comme par ailleurs toute molécule d'eau ou d'air, toute semence agricole ...) appartiendra bientôt à quelqu'un et deviendra la source d'un droit et d'une royaltie ... donc d'une fraude et donc d'une répression.

Je ne sais s'il faut traiter les "Anonymous" de voleurs (comme le fait ici C. Barbier) ou de héros-visionnaires mais je me dis que cette question mérite une réflexion d'un autre niveau que les faibles et conformes commentaires des media habituels. Des décisions nettement plus démocratiques seront à prendre car il y va peut-être du choix du type de société dans laquelle nous allons vivre très bientôt.

Des mouvements comme "Zeitgeist" proposent une approche alternative libertaire, voici leur position:


Il s'agit donc de resituer le fait divers de l'arrestation de gros Kim dans une perspective plus large: l'affrontement de deux logiques (marchande vs libertaire) sur le net.  Celle-ci renvoie à son tour à un questionnement plus large concernant tous les aspects de la vie en société. Ce questionnement devient d'autant plus essentiel que, comme nous l'avons dit souvent dans ce blog, les gouvernements s'avèrent de plus en plus incapables d'apporter aux fissures économiques, sociales et environnementales des réparations actualisées et appropriées. Malgré le très long bras du gouvernement américain, malgré la pratique presque séculaire de normalisation policière du régime chinois et malgré les initiatives sécuritaires spectaculaires de notre président bien relayé par une administration jacobine, l'approche traditionnelle qui consiste à interdire et à brutaliser rencontre une opposition. Celle-ci est profonde, organisée et réfléchie et peut aussi se laisser aller jusqu'à transformer des escrocs comme big Kim en héros de la liberté (remarquez que je le vois mal en costume de Spartacus !).

En quoi sommes-nous concernés ?

Traiter ce nouveau fait divers par un haussement d'épaule ou avec des arguments trop rapides en considérant que ceci est une distraction de "geeks", serait une grave erreur. Au contraire, aborder le sujet du changement de société sous-jacent sous l'angle de l'internet et l'examiner comme une illustration, nous apprend trois choses à défaut de savoir quelle vision de la marchande ou de la libertaire s'imposera finalement:

1) Les partisans du repli identitaire (quels qu'ils soient: de droite, de gauche, religieux ou autres) ne peuvent gagner la partie car ils ne jouent pas dans la bonne catégorie. Le jeu ne peut être que mondial. Les principes de gouvernance à adopter doivent donc être globaux,

2) De tels sujets de société (au sens d'une société mondialisée évidemment) se posent avec acuité et tout de suite. Remettre au lendemain et "gérer" tranquillement la situation est exclu. Or justement, comment nos candidats à la présidence ont-ils analysé la situation ? Avez-vous été convaincus par la précision de leur vision en la matière ?

3) Prétendre répondre à la triple crise économique, sociale et environnementale avec les réflexes d'antan (Surveiller et Punir dans le cas qui nous occupe) risque de nous faire perdre du temps par rapport à l'urgence sociétale globale: la société sera-t-elle marchande ou libertaire voire un mix des deux ou bien même subtilement dictatoriale ?

Suite à cette article: ici.

2 commentaires:

jérôme a dit…

Bonjour,
j'ai suivi cette affaire pour essayer de comprendre les arguments des partisans du téléchargement libre. Et j'ai entendu peu d'arguments convaincants. Le plus intéressant, c'est l'idée de lutter contre la censure. Il faut être vigilant sur cela mais je vois mal le lien entre le téléchargement et la censure, internet respire bien il me semble.
Alors où y a-t-il un problème ? Cette histoire je crois, renvoie à l'immobilisme des possesseurs de contenus. Internet est un moyen de diffusion planétaire, qui va dans chaque foyer. Autrefois on allait acheter un CD chez le disquaire, aujourd'hui on a tout en ligne. Mais un morceau de musique sur iTunes coûte environ 1 €, un film 6 €. Imagine-t-on chaque français acheter 1 € la dernière ritournelle de Calogero ? La diffusion de masse ne s'est pas accompagnée de la baisse du prix des "œuvres", sans compter qu'elle s'est accompagnée de l'explosion des prix des concerts. D'ailleurs l'offre légale de téléchargement est assez réduite et donc chère. Nous sommes dans une situation où ceux qui ont les droits veulent les vendre au même prix qu'avant alors que l'outil de diffusion touche tout le monde et leur coûte peu.
J'avais déjà évoqué le cas de Jacques Dutronc qui, finalement, a pu passer une vie à faire la fête grâce à une dizaine de chansons écrites il y a 40 ans. C'est ce modèle que les majors veulent préserver. A une époque où chaque humain passe 2 ou 3 heures par jour devant un écran, le prix des œuvres doit être bien plus faible qu'avant. A 5 € par mois pour télécharger ce qui nous intéresse, avec des limites peut-être, personne n'est opposé à payer il me semble.

Didier Chambaretaud a dit…

Bonjour Jérôme,

Je partage votre analyse. C'est pourquoi j'ai sélectionné la vidéo de Clay Shirky. Un autre modèle de partage voudrait bien émerger mais il est freiné par les majors et les Etats. Ce modèle ne peut être économique aux prix officiels actuels. Il doit être solidaire par l'extraordinaire possibilité de co-production et de diffusion qu'il offre (copyleft) mais pas au détriment des auteurs (gratuité totale).
Merci de votre commentaire, faites-moi signe par mail si vous voulez ... il faut suivre comment évoluera la licence "creative commons"

Cdt