Les attentats du 13 Novembre obligent la gouvernance française à un changement radical. Or les postures dogmatiques de nos gouvernants "rassemblés" dans l'adversité, reprises et amplifiées par le cirque médiatique, sont-elles à la hauteur des quatre défis qu'il nous faut désormais relever ? Respectons-nous assez notre ennemi pour le combattre vraiment, le vaincre et finalement parvenir à une paix avec lui ?
Une Morale de guerre !
C'est la guerre a dit notre Président ! Cette guerre se fait désormais chez nous: des civils fanatisés et suicidaires tuent d'autres civils: des "victimes innocentes", nous. Je rends, moi aussi, hommage à la mémoire des victimes des attentats, ... nous en connaissions certaines.
Que sont des "victimes innocentes" ? Les victimes ne sont-elles pas innocentes par nature ? La mort d'un soldat en uniforme au front est peut-être moins choquante. Mais pourquoi cette victime-là serait-elle moins innocente ou plus coupable qu'une mère de famille et ses enfants tués par un V1 à Londres en 1944, par une bombe incendiaire américaine à Dresde le 13 Février 1945, un attentat de DAESH dans le quartier chiite de Beyrout ce même 13 Novembre 2015 ou par une bombe française de représailles à Raqqa le 14 Novembre 2015 ? Toutes sont les innocentes victimes d'une égale Morale guerrière ...! A noter: un mort sur deux de la seconde guerre mondiale était un civil.
Nos victimes innocentes à nous sont vues par l'ennemi comme des "croisés idolâtres et pervertis". Celles que nous causons sont invisibles ou simplement présentées comme de regrettables dommages collatéraux. Comme dans tout conflit, deux morales symétriques et opposées s'affrontent. Le monstre, c'est l'autre. C'est pourquoi la Morale "transcendante" ne fait pas bon ménage avec la lutte opportuniste pour la victoire.
Un Moral de guerre !
Pour l'heure, la guerre doit être conduite sur les terrains où celle-ci a lieu. Les jugements moraux, les émotions légitimes ne peuvent tenir lieu de réflexion. Puisque le combat se livre à la terrasse de nos cafés, c'est là qu'il faut commencer le combat ! Un pays développé le sait depuis sa création contestée qui a pris des mesures dans ce sens: Israël est à la pointe de la lutte anti-terroriste.
Ce qui me dérange chez nous, c'est qu'en dehors des forces spécialisées anti-terroristes, nous n'avions pas jusqu'ici adopté un "moral de guerre". Nous avions semblé ne pas vouloir voir la réalité en face. Comme en 1940 (lire ici), nous semblions nous obstiner à vouloir livrer d'autres batailles que celles qui s'imposent à nous. Nous avions manqué de réalisme et de détermination. Cette attitude, si elle se maintenait, conduirait à la défaite dans les quatre batailles que nous devons livrer maintenant.
1/ La bataille sur le front civil intérieur
Nous avons d'un côté des civils désarmés qui attendent les secours, des secours peu armés ou peu formés qui appliquent la procédure et attendent l'intervention des forces d'élites (RAID, GIGN ...). En face, des individus dotés d'armes automatiques prêts à se faire exploser sans tarder ... Des moutons face à des bombes humaines ! C'est sans doute ce qui a fait dire à Donald Trump (vidéo ici) que si les français n'avaient pas la législation la plus restrictive du monde sur les armes, la situation aurait été différente. Possible ... Mais je crains que le problème ne soit pas qu'un problème d'armes.
Alors que faire ?
Commencer par refuser partout l'inéluctable, résister à tous niveaux dans la mesure du possible comme l'ont fait trois passagers du Thalys du 24 Août 2015 ! Il faut que les assaillants sachent que ça ne sera pas du gâteau. Je crois que c'est ce qui s'est passé autour du Stade de France ... Dans ce cas, le pire a été évité, les "kamikazes" se sont fait sauter à vide !
Puis prendre l'initiative comme ce qu'on fait les policiers du Raid ce matin à Saint Denis.
2/ La bataille sur le front militaire extérieur,
Nous figurons parmi les auteurs des frappes aériennes. C'est ce qui nous vaut des attentats sur notre sol. Nous allons envoyer plus de moyens mais est-ce crédible quand nous proclamons par ailleurs notre doctrine de ne pas intervenir au sol, quand nous savons ne pas pouvoir déployer plus de 5 ou 10000 hommes sur un quelconque théâtre d'opérations et quand les américains ont perdu la paix en Irak et en Afghanistan alors qu'ils disposaient de beaucoup plus de moyens que nous ?
Pour vaincre sur ces deux fronts et après avoir accepté de voir les choses en face et être sortis de notre
déni actuel, il faudra revoir nos positions. Sur le plan diplomatique, les lignes changent avec le retour de la Russie sur la scène mondiale. Sur le plan interne, les drastiques réformes que nous n'avons
pas su faire en temps de paix vont devoir être faites pour investir des moyens adaptés afin de renforcer nos forces sur tous les fronts ou alors nous nous payerons de mots ... Mais il y a un troisième front ...
3/Livrer et gagner la bataille idéologique
Un tout petit nombre de jeunes ou de moins jeunes islamistes radicalisés mène l'offensive sur les deux fronts précédents parce que l'ennemi les a convertis sur le plan idéologique. Ce petit nombre d'infiltrés ou de convertis, ennemis de notre société comme jadis la bande à Baader ou les brigades rouges, suffit à nous scandaliser et à nous glacer d'effroi. Dans la bataille idéologique, c'est une victoire de l'ennemi. Il faut travailler sur ce plan. Sortir du déni et apprendre qui est l'ennemi et pourquoi il nous hait; peut-être apprendrons-nous au passage quelque chose sur nous-mêmes ?
Des prédicateurs fanatiques à la solde d'une puissance étrangère (DAESH et d'autres groupes) détournent un discours religieux et en vaccinent une partie de notre population immigrée ou apparentée, déçue et marginalisée, et dont une minorité importante (voir mon article ici) est culturellement prédisposée à faire passer sa religion avant nos lois et nettement plus dans quelques cas précis.
Et quelle est l'idéologie de cet ennemi ? Pour cela reportons-nous au texte de DAESH (lire ici)
qui revendique les attentats: la sourate 59 verset 2 du Coran interprétée au
pied de la lettre et au mépris du contexte historique assaisonné d'un discours sur
l’idolâtrie et la perversité des croisés qui ont attaqué les premiers
(et là c'est vrai !). Cette idéologie fanatique est aussi simpliste que
le style et l'orthographe de ce communiqué. Pourtant, elle fait mouche
et mobilise ceux que l'ennemi a su écouter et récupérer, lui, et
qu'il présente comme des héros de la foi, pendant que nous les flattons
en en faisant de grands guerriers sanguinaires, des monstres
surpuissants ce qu'ils ne sont qu'en regard de notre sidération et de
notre effroi .
4/ Livrer la bataille contre nous-mêmes: réveiller notre société amorphe
Face à cela que propose l'Etat français ? Les services de renseignements et de police travaillent sur les conséquences, et plutôt efficacement, mais qui se préoccupe des causes idéologiques profondes ? Quelles sont nos armes idéologiques face au détournement du Coran et au bourrage de crânes de nos ennemis ? Nous brandissons nos lois que nous n'appliquons que si l'état d'urgence est déclaré et nous évoquons nos valeurs républicaines ... mais nous ne savons même plus les définir ! Ah si un grand dirigeant en a rappelé trois: "Liberté, Égalité, Fraternité"... C'était Barack Obama !
Nous sommes-nous endormis à ce point que notre société n'a plus rien à proposer et ne se souvient plus de ses propres valeurs ? Ne peut-on réagir à cette double médiocrité intellectuelle (celle de l'ennemi et la nôtre aussi) en allant porter la contradiction à la source: dans les écoles, les mosquées, les cités pour tenir un autre discours ? (lire mon article ici) Sommes-nous enfin décidés à livrer cette bataille-là aussi ou allons-nous laisser le champ libre à une idéologie religieuse crasse et régressive ?
Respecter l'ennemi pour gagner la paix !
Si nous relevons les quatre menaces précédentes, nous aurons regagné le
respect de nous-mêmes et nous serons en mesure de gagner ces batailles
et d'autres. Mais gagner les batailles n'est pas le vrai but d'une guerre. Son vrai but est de gagner la paix. Je citais plus haut en exemple Israël qui a su relever le défi de la
guerre et créer une société originale et dynamique en plein désert mais qui de toute évidence ne semble malheureusement pas en bonne voie pour
gagner la paix. Avant comme après la reddition de l'ennemi, gagner la paix nécessite d'entrer vraiment en relation avec lui, en quelque sorte de le respecter lui-aussi. Oui il faut accepter et respecter le monstre pour mieux le liquider ou le dompter ! Je vous renvoie à cette belle intervention de Jean Pierre Massias sur les traités de paix et les préalables à la négociation (lire mon article et visionner ici sa vidéo TEDx)
Or quels sont les mots d'ordre que j'entends ?
- On ne "négocie pas avec les terroristes" (lire mon article ici) et
- On ne doit pas "faire d'amalgame" (lire mon article ici) !
Avec qui voulez-vous faire la paix si ce n'est avec votre ennemi ? Comme voulez-vous vivre en paix avec des gens qui vous ignorez ?
La guerre ne nous débarrassera pas de 100% des terroristes ... c'est l'inverse qui se passe. La violence renforce la violence aveugle, l'ignorance crasse et les discours religieux vengeurs. Bush voulait abattre Saddam Hussein et Bin Laden pour que tous les régimes anti-démocratiques s'effondrent autour d'eux comme des dominos. Même discours de Sarkozy sur Kadhafi. Et désormais, en plus des talibans et d'Al Quaïda, nous avons DAESH, Al Nosra etc ...! Dans nos cités de banlieue comme à Gaza, après avoir rétabli notre autorité par la force, si nous ne respectons pas assez ceux qui nous haïssent, quitte à les détruire, jamais nous ne gagnerons la paix !
Nous sommes tous concernés
Nous avons donc une chance ... mais pour cela nous devons d'abord voir les choses en face, nous doter des moyens nécessaires et agir de façon déterminée pour gagner la guerre sur les quatre fronts où nous sommes engagés. Gagner la guerre nous fera regagner notre propre respect de nous-mêmes mais pour ensuite gagner la paix, il nous faudra apprendre à connaître et à respecter l'ennemi en partant de sa haine et de ce qu'il est vraiment au delà de l'horreur qu'il nous inspire: nous devons le reconnaître comme humain et non comme monstre !
2 commentaires:
Bonjour et merci, Didier, pour ton analyse fort intéressante !
Je reste cependant perplexe car les alternatives envisagées aussi bien par nos gouvernants que par différents analystes et par toi me paraissent pouvoir être enrichies par d'autres voies.
Je pense au message rédigé par Maria Voce, Présidente du Mouvement des Focolari, dans lequel elle écrit :
"...Dans l'effarement et la ferme condamnation de semblables actes contre la vie humaine, émerge vivement aussi une question : avons-nous fait chaque pas, et entrepris chaque action possible pour construire ces conditions nécessaires parmi lesquelles le fait de favoriser plus de parité, plus d'égalité, plus de solidarité, plus de communion des biens et pour lesquelles la violence et les actions terroristes perdent leur possibilité d'agir ?..."
Source : http://www.focolare.org/fr/news/2015/11/14/nuove-responsabilita-per-i-costruttori-di-pace/
Les réflexions et réponses actuelles souvent entendues ne semblent pas remettre en cause notre société française, nos sociétés occidentales en général et leur fonctionnement, de la moindre manière, alors que les inégalités se renforcent, les riches sont de plus en plus riches, les pauvres parfois de plus en plus pauvres...
Les marchés financiers dirigent toujours l'économie, alors que cette dernière devrait être au service de l'homme...
Les drames actuels et passés (je pense aux attentats du 11 septembre 2001) ne devraient-ils pas nous inciter à réfléchir en profondeur aux valeurs profondes qui guident nos sociétés ? Nous mettons en avant notre devise républicaine "Liberté Egalité Fraternité" mais est-elle vraiment vécue ? Pouvons-nous réellement parler de "fraternité" dans notre monde actuel ?
C'est là que je rejoins Maria Voce. Les terroristes ont choisi une voie contraire aux valeurs universelles de l'humanité. La règle d'or, commune à toutes les grandes religions et philosophies : "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent", est bafouée.
Mais, sans volonté de réexamen de nos comportements individuels, collectifs et sociétaux, avec le but d'aller vers une société plus juste, plus fraternelle, pouvons-nous espérer réellement la fin du terrorisme ?
Plutôt que la guerre ou la recherche de "la paix" selon ton expression, ne serait-il pas préférable de nous interroger, personnellement (chacun dispose d'espaces de liberté pour agir) et collectivement, pour aller vers plus de fraternité, de communion entre tous les hommes, qu'ils soient français ou citoyens d'autres pays, à l'instar du fait que monde est devenu un village par les moyens modernes de communication et de transport ?
Avec toute mon amitié, dans l'espérance d'un monde plus fraternel, dans lequel les occasions de s'indigner, et parfois de choisir des solutions extrêmes, seraient moindres ! C'est une oeuvre de longue haleine mais un tel idéal ne vaut-il pas la peine d'être proposé, en particulier à notre jeunesse qui a tant souffert le 13 novembre, et peu à peu construit, avec la bonne volonté de toutes celles et tous ceux qui seront partants ?
Robert Jamen
robert.jamen@orange.fr
A moi de te remercier Robert pour ce long commentaire dont je partage volontiers l'intention mais pas le niveau de priorité.
A l'extrême, cette intention me semble pouvoir renforcer le dogmatisme idéologique qui nous a rendus aveugles en 1940 et qui sous d'autres formes a participé à notre aveuglement actuel.
La voie que tu proposes correspond bien à la 4ème bataille que je résume trop rapidement. Oui, je crois qu'il faut aussi nous changer nous-mêmes et changer notre société mais il s'agit d'un horizon collectif global assez lointain. L'ennemi a déjà décidé d'employer sa méthode à lui sans attendre ! Je crois aussi que nos ennemis actuels ne nous sont pas apparus venant de nulle part et par hasard comme Hitler n'était le fruit du hasard mais le résultat de notre peur qui n'a pas permis de créer les conditions d'une paix équitable et stable. Cela dit, se centrer sur cette bataille-là conduirait à perdre les trois autres aussi sûrement que le général Mangin qui croyait à une guerre longue et pensait à consolider ses défenses et qui fut vaincu en à peu peine plus de 48 heures lors de la percée de Sedan.
Une règle d'or pour moi de tout changement est de partir des faits: ici le faible fanatique infiltré chez le fort endormi et qui se fait exploser pour tuer le plus possible et gagner le paradis des martyrs ! Je sais qu'à force de se laisser manger par les lions et de se précipiter sur les lames de leurs bourreaux les premiers chrétiens finirent par les convertir et par imposer leur Foi comme véritable machine de guerre d'un Empire Romain devenu théocratique ... Et 15 siècles plus tard certaines valeurs démocratiques ont fini très imparfaitement par surgir de la férocité médiévale ...
Le processus que tu évoques serait certainement très différent, nous ne partons pas du même point de départ, mais ce serait fondamental donc long s'il intervenait à l'exclusion des trois autres combats. C'est pourquoi je parle de mener les quatre batailles en parallèles, les deux premières devant se gagner rapidement.
L'idée la plus importante pour moi est de mener les quatre batailles ensemble. Appeler l'ennemi "monstre" permet de rester dans le déni et de vaincre dans l'immédiat par une violence plus grande encore mais pas de gagner la paix qui consiste justement en même temps de se préoccuper de créer les conditions de cette paix voire de la fraternité que tu évoques car on oublie cette quatrième bataille à livrer et qui touche justement aux causes de l'apparition de l'Ennemi.
C'est dans ce quadruple processus d'affrontement que, je crois, nous pouvons découvrir le respect de nous-mêmes et celui de l'ennemi.
Je ne peux pas le prouver mais au moins en faisant cela nous avons une chance de ne pas succomber à la terrasse d'un café ni de mourir sauvés.
Je ne propose pas de choisir la guerre plutôt que la paix je propose de faire les deux avec réalisme.
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