samedi 5 décembre 2015

Ne pas succomber à l'affect, ne rien laisser dans le registre de l'impensable !

Professeur à l'Ecole Normale, philosophe étiqueté à l'extrême gauche, anciennement maoïste, Alain Badiou, propose à l'occasion des récents "attentats terroristes"  dans cette conférence un peu longue (https://vimeo.com/147061687), une analyse poussée de notre monde global qui recoupe la "quatrième bataille" que j'annonçais dans mon précédent article.
A. Badiou, "Là-bas, s'y j'y suis"

Ne pas succomber à l'affect

Malgré l'horreur et la stupeur bien naturelles après les événements meurtriers qui nous ont touchés de près, je n'ai pas mis de drapeau à ma fenêtre ni sur mon profil Facebook car je ne me suis pas senti à l'aise, comme après Charlie d'ailleurs, par le traitement médiatique et politique matraqué où seul l'affect est sollicité. Voici une vidéo plus courte (https://youtu.be/lBZLywtkOpU) que j'ai montée moi-même à partir de la conférence d'Alain Badiou qui traite le sujet de l'affect et de l'impensé. Position dont je me sens proche:



En résumé voici ce que nous dit Alain Badiou. Il reconnaît, comme je le fais lorsque je "coache" un speaker TEDx, l'importance de l'affect. Mais comme lui, je pense que l'affect ne peut conduire seul notre réflexion. Et voici pourquoi (le texte en italique est de moi !):
  1. L'affect conduit à prendre des mesures inutiles et inacceptables. L'Etat d'urgence n'est pas inutile mais pourquoi n'a-t-on pas appliqué nos lois plus tôt ? Pourquoi les juges sont-ils hors du coup ?
  2. L'affect renforce les pulsions identitaires. Le resserrement naturel de la famille en cas de coup dur conduit à faire de l'étranger un bouc-émissaire alors qu'il nous faudrait du discernement, de l'intelligence et des alliances pour vaincre. La vengeance risque remplacer la Justice or ne voudrions-nous pas démontrer que nos valeurs démocratiques valent la peine d'être défendues ?
  3. L'affect conduit à ce que les meurtriers souhaitent faire: occuper toute la scène et créer un "sujet obscur déprimé et vengeur" comme Baader-Meinhof et Ben Laden l'ont réussi autrefois.
Ne rien laisser dans le registre de l'impensable

J'ai bien aimé cette phrase. L'affect nous fait adhérer à une position donnée par l'émotion. C'est naturel. Il nous dispose à l'action et c'est bien. Je le dis à mes intervenants, c'est cette adhésion qui prédispose à bouger et à créer. Souvent les discours sont lénifiants car il n'y a aucune action. Mais là, les événements préparent l'adhésion de la grande majorité. Raison de plus pour ne pas faire n'importe quoi, raison de plus pour nos gouvernants de réfléchir vite et bien à la nature de cette action et à sa profondeur.

Agir sans réfléchir ou sur un raisonnement biaisé comme ce fut le cas pas l'équipe Rumsfeld-Cheney autour de Bush lors de la seconde guerre d'Irak a conduit au drame (officiellement 150000 civils Irakiens tués !) et (je le pense) in fine à la perte de cette guerre au profit des islamistes radicaux sunnites et de l'ancien ennemi iranien chiite. Ne laissons rien dans le registre de l'impensable dit Badiou, rien de ce qui est humain ne survient par hasard, je traduis cela en refusant de qualifier l'Ennemi de "monstre" car comme disait Montaigne: "tout homme porte en lui la forme entière de l'humaine condition".

Rappel des quatre batailles

Dans  mon précédent article, j'avais essayé de présenter les quatre batailles que nous devrions livrer en parallèle, de façon réaliste, sans affect et avec des termes de durée différents:
  1. Bataille intérieure de l'état d'esprit où le citoyen devrait être acteur/résistant et non victime potentielle, sortons de l'état de sidération qui plait tant aux chaînes d'info 24/24 !
  2. Bataille extérieure où nous devrions nous doter des moyens militaires appropriés car pour de bonnes ou de mauvaises raisons historiques, nous sommes déjà en guerre depuis 30 ans, et pour cela remettons en question en profondeur notre Etat obèse, endormi, mal organisé et illégitime,
  3. Bataille idéologique pour affronter l'instrumentalisation de l'Islam, en confrontant nos "valeurs" à celles de l'Ennemi et pas seulement en fermant quelques mosquées Salafistes.
  4. Bataille pour la paix où en rencontrant vraiment l'Ennemi et en négociant avec lui, nous devrions nous réinventer nous-mêmes et une société planétaire permettant à tous, y compris les pauvres tentés par une lecture haineuse du Coran, de trouver leur place.
Je ne partage pas le point de vue de départ marxiste d'Alain Badiou mais je trouve la perspective d'ensemble intéressante qui correspond bien à ma quatrième bataille: construire la paix nécessitera de nous changer nous-mêmes et de nous réconcilier avec les "monstres".

En quoi sommes-nous concernés ?

Certains peuvent être tentés de succomber à l'affect et de chercher vengeance. D'autres (au niveau de l'Etat) sont tentés de faire semblant  de maîtriser et d'en profiter pour chercher à redorer leur blason terni et d'autres enfin de se réfugier dans telle ou telle idéologie gentille et sans rapport avec les urgences réelles. Badiou, en bon gauchiste, ne cautionnerait sans doute pas mes deux premières batailles. Je reste cependant convaincu de l'importance de livrer ces quatre batailles sur lesquelles je reviendrai car j'ai l'impression que le prêt-à-penser médiatique semble évoluer dans le bon sens.

Le philosophe Alain Badiou, quant à lui, m'a semblé intéressant car il nous introduit à ce que pourrait-être le champ de la quatrième bataille.

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