dimanche 25 octobre 2015

A nous de jouer maintenant ...

Comme je l’annonçais, ce blog renaît. Pour cette renaissance visant à réorienter le cours de nos pensées en nous appuyant sur des personnalités qui toutes ont fait le choix de sortir du cadre, j’aimerais vous faire rencontrer Raphaël Poulain. A ma demande, il a évoqué pour vous les conséquences de la défaite française en coupe du monde de Rugby. Nous éclaireraient-elles dans d’autres domaines ?

Le parcours de « superman »

J’ai rencontré Raphaël l’an passé lors de la préparation de son intervention à TEDxMinesNancy:

Voici un résumé de son parcours:
Raphaël a pris sa retraite à 28 ans, avant son père comme il dit. Les journalistes le présentaient comme le « Lomu français », aîlier rapide et surpuissant, il étourdissait ses adversaires, le public, la presse et les acheteuses des fameux calendriers. Raphaël avait été détecté encore ado par le Stade Français pour son physique hors norme. Il y a connut la gloire, la souffrance et la chute.
Le prodige n’aimait pas forcément se trouver là où on lui avait dit d’être au 7ème temps de jeu et se brouilla avec son entraîneur puis il y a eu la guigne des blessures à répétition. Bien qu’en pole position, il n’intégra jamais le groupe France et partit juste avant le sommet de la gloire puis se prit des murs dont il eut du mal à se remettre. Il entreprit de se reconstruire grâce à des rencontres, la philo et … le one man show.
Raphaël est donc un des premiers retraités du rugby pro façon Max Guazzini ( Emblématique artisan de la renaissance du Stade Français). Pas fortuné, c’est pourtant un bipède riche qui s’accomplit et qui parle comme il courait : tout droit ! Coach mental, il donne maintenant des conférences, réalise des audits de clubs, aide les jeunes et les autres malchanceux de son sport … Il est passé de la lumière à l’ombre et son point de vue peut nous donner quelques clés au-delà du rugby.

Partages-tu les analyses assez convergentes de la presse sportive sur cette défaite ?

Globalement oui. Tout le monde en connaît les causes. Dès la formation initiale, on formate les gamins pour « rentrer dedans ». On a sacralisé le corps, on a privilégié la taille et la masse et l’on a oublié le jeu, l’essence du jeu, le sens ! L’enjeu a tué le jeu et on s’est fait dépasser par la vitesse, l’intelligence et la qualité du jeu des autres équipes !
Penses-tu que cette défaite sera un déclic pour les changements structurels que les spécialistes de ce sport  attendent ?
Ca dépend. (Ndlr : Il ne se mouille pas trop ici et il ne déborde pas d’optimisme ! )
C’est une lutte de pouvoir. Le rugby et ses « valeurs » sont en fait englués dans un système patriarcal et autoritaire paralysé par les enjeux financiers. Notre rugby s’est enfermé dans ses certitudes et ses peurs. Il faudrait que l’on sorte de ce système et pas seulement que l’on remplace des hommes par d’autres. C’est peut-être le projet de Bernard Laporte, je ne sais pas s’il y arrivera parce que dans ce système-là, il n’est pas légitime pour tout le monde.
Nous étions dans le déni, cette défaite nous a plongés dans la colère (assortie du sentiment de porter des culpabilités diverses), il faut continuer à décliner les différents stades du deuil (marchandages, dépression, acceptation).
Il y a cependant un gros risque que se mette en place le triangle de Karpman (Ndlr : voir mon article ici) avec ses inévitables victimes et bourreaux qui ouvrent la porte à des sauveurs et que rien ne change au fond. Il serait bien que l’on recrée un environnement où l’individu décomplexé s’épanouirait en étant plus spontané et créatif et où dirigeants, éducateurs et parents arrêteraient de projeter leurs fantasmes sur les gamins sans parler de la presse et des sponsors qui veulent des gladiateurs… Du pain et des jeux façon prime time !
Il faut recommencer depuis la base. A partir des petits clubs qui sont en train de crever, redonner la joie de jouer aux jeunes et bien sûr donner du temps de jeu aux plus talentueux dans les grands clubs !

C’est pas gagné donc, fais-tu un parallèle avec d’autres choses de notre environnement ?

Oui, le non-dépassement des peurs est typique d’une société qui vieillit et qui a peur de se remettre en cause.  Notre sport en particulier est venu combler des vides. En le sacralisant, il a remplacé la religion pour certains.
Notre société a peur de l’homo, du musulman, de l’étranger … Et elle se fige. Le rugby n’est pas un cas isolé. Dans le rugby comme ailleurs, même sans forcément faire la révolution, des réformes étaient nécessaires que l’on n’a pas eu le courage de faire. Nous sommes vaincus en fait par nos peurs, notre pensée dogmatique et notre soumission à une autorité vieillissante et apeurée! 

Et toi, comment t’en sors-tu ?  Et le coaching ?

Fauché, je ne peux pour l’instant pas lancer mon projet de documentaire-vérité sur l’après-rugby (voir teaser ici). Mais aujourd’hui tout se remet en place pour moi. On me demande de prendre la parole dans des entreprises, je vais remonter sur scène et puis je vais être papa et ça, ça change tout !
Au début, j’ai surinvesti sur le corps, j’ai ensuite travaillé le mental puis se fut l’émotion et maintenant c’est la foi. Il fallait rééquilibrer tout ça. Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément d’une foi religieuse. Peut-être que collectivement il nous manque quelque chose dans ce sens ?
Le coaching ? Non, je ne me vois plus trop comme ça. Pour moi le coach devrait être bio-dégradable…
Merci Raphaël.

J’aime beaucoup la personnalité de Raphaël, son côté ange déchu ne l’empêche pas d’être quelqu’un d’attachant, de généreux et à l’écoute, pas amer, quelqu’un que l’on se flatte d’avoir pour ami. En plus, c’est plutôt rare qu’un rugbyman revendique un passage par la philo et la psycho pour se relancer ! Comme aurait pu le dire Michel Onfray (il faudra que je vous reparle de cette autre original-là), il vaut mieux un rugbyman qui vit en philosophe qu’un prof de philo qui donne un cour . En tous cas, avec Raphaël, on ne s’ennuie pas. Pour moi, il incarne une figure potentielle du « leader » de notre temps.

En quoi sommes-nous concernés ?

Ce parcours atypique avec ce qu’il a d’excessif me semble un témoignage emblématique du sacré de notre époque qui est sur les stades et sur nos écrans et qui cause des dégâts. Ses stars sont utilisées puis jetées. La formation personnelle et le jeu ont été sacrifiés à cet objectif pour satisfaire les audiences qui consomment… Le show biz, les artistes, les élus politiques et même les entrepreneurs (pensez aux stars des start ups) et certains chercheurs suivent ce chemin.

Je vous raconte donc l’histoire de Raphaël, celle du rugby, celle de cette défaite car je crois qu’elles illustrent des changements en cours. Or l’échec, même discret et pas médiatique du tout, fait partie de la vie. Aucune « positivité » ne peut faire l’économie de l’échec et de ses vraies causes.

Le mot de la fin

Pour terminer, je voudrais rendre hommage au vaincu du moment (ça a fait rire Raphaël !), à celui qui se transforme maintenant en victime culpabilisante et que l’on érigerait volontiers en bouc-émissaire. Je veux parler de Philippe Saint André, le sélectionneur des Bleus, que j’aimais comme joueur et dont le moins que je puisse dire est qu’il est l’un des pires orateurs que j’ai pu observer et sans doute pas le leader dont les Bleus avaient besoin. Il a prononcé dans le Midi Olympique de lundi cette phrase que je choisis de prélever et de conserver :
« L’échec, ce n’est pas de tomber, mais de rester où l’on est tombé* ».

Raphaël s’est relevé, j’en souhaite autant à nos Bleus et à la société française.
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*Paru page 8 du Midi Olympique du Lundi 19 Octobre 2015. La citation exacte d’origine serait plutôt : « La chute n’est pas un échec, l’échec c’est de rester où l’on est tombé ». Elle est attribuée à Socrate et est un classique du Développement Personnel.  Décidément, la philo inspire les coaches du rugby ces temps-ci !

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