samedi 15 novembre 2014

Comment sauver la vie du contrôleur de la SNCF

Affaire de vie et de mort, le 19 Juin 2009, l'opération "Défibril'à coeur" était lancée par la SNCF. Elle visait à doter les gares et TGV de "DAE" (Défibrillateur Automatisé Externe). 60000 personnes décèdent chaque année d'un arrêt cardiaque à défaut d'une intervention RAPIDE avec un tel appareil.

S'adresser au contrôleur svp !

Les DAE furent donc déployés dans les TGV. Peut-être pas partout ni sans retard mais qu'importe, la statistique est bonne fille. D'ailleurs, il n'y a pas de statistique. Pourquoi donc ?

Je voyage très souvent par le TGV-Est. L'autre semaine, j'ai pris une consommation au bar ce que je ne fais jamais car je n'aime pas attendre ... Là, j'avais une petite faim ! Le gentil barman me fit signe de la main que je ne devais pas attendre accoudé au bar pour ne pas gêner le service de ceux qui attendaient déjà leur croque-monsieur accoudés aux tables derrière moi ! Oups, pardon ! Me décalant sur la gauche suite à cette injonction peu amène mais de bon sens, j'entrepris la lecture de la notice de l'objet vert avec lequel j'étais désormais en tête à tête: je déchiffrai "DAE" et sa notice d'utilisation. C'est simple, il faut appeler le personnel de bord, ouvrir la boîte et utiliser l'instrument. Tiens pourquoi faudrait-il appeler le personnel de bord ?

Enfin mon croque-monsieur fut réchauffé et je posai ma question au barman. Entretemps, j'avais eu le temps de remarquer que la boîte était nantie, sur le dessus, d'une serrure fermée à clef. Le barman parut surpris et me dit que la boîte était fermée à clef (merci, j'avais remarqué). Pour utiliser le DAE, il faut demander au personnel de bord (ah bon). D'ailleurs lui, il a une clef ... et d'ouvrir un tiroir pour me le prouver; mais apparemment pas de clef dans le fouillis ... !

"Non mais, de toute façon, il faut aller chercher le contrôleur !" 

Je résolus donc de poser la question au contrôleur lors de son contrôle.

C'est le contrôleur qui a la clef

20 minutes plus tard, au contrôleur: 
- bonjour monsieur, à votre avis ... supposons que je sois médecin et que je diagnostique que mon voisin fait une crise cardiaque,  aussitôt je tente de le sauver mais comment faire sans défibrillateur ?
- mais même si vous n'êtes pas médecin (large sourire condescendant et ton légèrement soulagé), il vous suffit d'utiliser le "DAE", juste là ... et l'homme en uniforme de s'apprêter à tourner les talons ...
- ah merci, seulement je n'ai pas la clef ...
- et non, la clef, c'est moi qui l'ai (sourire)... Et de me montrer à sa ceinture une grosse clef en laiton de la SNCF qui n'a rien à voir avec le DAE, ce qu'il réalise (le sourire disparaît), et de me faire entendre alors le cliquetis d'un trousseau dans sa poche.
- ah, je dois donc d'abord trouver le contrôleur pour utiliser l'appareil alors.
- ben oui (ennuyé)
- et ça pourrait être long, objectai-je, par exemple si je pars vers l'arrière du train alors que le contrôleur est à l'avant ou l'inverse ... une vie ne tient décidément qu'à un fil et parfois à une clef !

Le contrôleur n'est plus si soulagé et paraît nettement moins sûr de lui. Il arbore plutôt un air d'impuissance et de surprise (personne ne s'était semble-t-il posé une telle question, à commencer par lui)
- pourtant, continuai-je, si j'ai bien compris, pour sauver une vie dans ce cas, il faut agir vite non ?
- (sur le ton légèrement agacé de celui à qui l'on parle d'un cas qui n'arrive jamais) vous savez, on nous en a tellement volé que la décision a été prise de les mettre sous clef alors hein ...
- ah très bien, donc si je résume, il n'est pas nécessaire d'être médecin pour utiliser l'appareil mais il faut être contrôleur pour avoir la clef qui y donne accès  ... 
- blanc (là le contrôleur est pressé de poursuivre son contrôle).

Le cas de la crise cardiaque d'un passager étant réglé tragiquement par défaut, il reste toutefois un cas hypothétique qui pourrait encore justifier la présence des DAE.

- juste une dernière question dis-je encore, et si c'était vous qui aviez une crise cardiaque ?

Comment sauver la vie du contrôleur de la SNCF

Là bien sûr, cette hypothèse ne peut qu'être farfelue puisque le contrôleur y a répondu par un haussement d'épaule avant de poursuivre son labeur. Mais si je devais être par extraordinaire la personne devant sauver la vie d'un contrôleur défaillant cardiaque, je connais désormais la marche à suivre, la "best practice":
  1. faire les poches du contrôleur, toutes ses poches, se saisir de toutes ses clefs,
  2. courir au prochain défibrillateur (je sais maintenant qu'il y en a un au bar),
  3. essayer toutes les clefs ...
  4. ... jusqu'à trouver la bonne,
  5. ouvrir et se saisir de l'instrument,
  6. revenir sur le lieu du malaise du contrôleur,
  7. faire usage de l'instrument,
  8. noter l'heure du décès, et
  9. prendre les noms des témoins pour ne pas être accusé de non-assistance à personne en danger !
Dernière minute

Je n'ai pas publié l'article tout de suite afin de faire de menues vérifications. Sur un autre train, un contrôleur plus jeune et moins défensif a fait une autre réponse. En fait, le contrôleur doit au départ du train passer donner un tour de clef pour ouvrir la boîte ... Voilà sans doute pourquoi le premier interrogé s'était montré si défensif, il se sentait coupable de n'avoir pas appliqué la consigne !

Dernière minute 2

Je pose maintenant la question presqu'à chaque voyage. Ce qui est très étonnant c'est que certes ma première façon de raconter cette histoire ci-dessus est contestée mais pas de la même façon. La dernière fois les contrôleurs étaient en force, au moins cinq ! Et ils m'ont montré que le boitier du DAE est certes muni d'une serrure mais que celle-ci reste ouverte ! En fait, il n'y aurait pas eu tant de vols que cela. J'ai donc pu, en forçant un peu, ouvrir le boîtier sans clef. Pour autant, personne ne peut me dire si l'appareil fonctionne car les contrôleurs ne savent pas s'il a été utilisé dans le TGV ... Enfin, nous progressons.
En quoi sommes-nous concernés ?

Un homme serait mort de crise cardiaque dans le TGV Rennes-Paris le 24 Novembre 2011 (je n'ai pas vérifié l'info et rien ne dit qu'il s'agissait du contrôleur !)...

Selon une enquête de l'ANSM datant de Juillet 2014, 30% des exploitants de DAE déclarent avoir eu un usage au moins une fois de l'appareil sur au moins une personne (l'enquête ne précise pas dans combien de TGV !) et selon cette enquête, 18% auraient connu une panne !

Notre Société se drogue de communication sécuritaire mais semble en panne de bon sens. Elle a le secret pour développer des procédures et des normes de sécurité de toutes sortes pour parer à tout. Elle oublie juste de prendre en compte leur rapide obsolescence du fait ... notamment du facteur humain et des contre-mesures de sécurité ...Et tout ça pour quoi ?

A propos, j'allais oublier. Pour être parfaitement tranquillisé, j'ai un fugace instant, imaginé acheter mon propre DAE et le placer dans mon sac de voyage (sans clef). J'y ai renoncé car j'ai lu que ces instruments ne doivent pas être utilisés dans un véhicule ni en situation de déplacement avec vibrations et chocs ...!


4 commentaires:

Séverine Beney a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Séverine Beney a dit…

Autrement dit, faites ce qu'il y a à faire quand il faut le faire mais surtout, ne le faites pas sans l'aval des autorités concernées... Paradoxal non ? Et surtout complètement ridicule, particulièrement dans un tel contexte.

- "Au secours je meurs !"

- "Ben attendez, avant de mourir, on va essayer de vous sauver, mais il faut déjà pouvoir trouver la personne disposant de la clé permettant d'ouvrir l'appareil qui pourra vous sauver. Sinon... ce sont les 4 planches assurées."

Pourquoi ai-je l'impression que plus le temps passe et plus des situations telles que celle que vous décrivez dans votre article deviennent monnaie courante, quelles que soient les circonstances (en dehors du DAE de la SNCF bien sûr) ?

Bernard Lamailloux a dit…

Aaah… Que dire, à part que je partage complètement, que j'approuve, plussoie, applaudis, rit, m'émeus, en redemande, et me sens décidément en bien bonne compagnie (si j'osais j'ajouterais "en famille"…) avec les idées, témoignages et récits de ce si singulier Didier ?

Rien. Mais bon, c'est déjà ça…

Didier Chambaretaud a dit…

Je précise que je n'ai rien inventé et comme le dit l'article, j'ai appris après qu'il y a une autre instruction qui commande au contrôleur d'aller ouvrir le boîtier avant le départ du train.
Cela dit, il était fermé et j'ai vérifié deux autres fois que cela arrive souvent.
Le contrôleur qui a oublié n'est pas le sujet ici. Ce qui est le sujet c'est une forme de pensée qui pédale dans le vide.
Le point de départ est bon. Ensuite, l'application dans une structure qui ne sait que gérer des procédures et du contrôle conduit tout droit à l'absurde. Notre sujet c'est l'esprit de conformité qui ne demande qu'à se tranquilliser par la procédure alors que personne ne vérifie rien à commencer par savoir si l'appareil marche:il faut défaut dans 18% des cas quand les conditions d'utilisation sont respectées. Or probablement dans un TGV les vibrations rendent l'utilisation très incertaine.
Cette histoire bien anecdotique est révélatrice de la seule chose qui cause réellement le fond de notre crise: notre incapacité à nous adapter et ce qui en découle. Cette chose c'est notre capacité de plus en plus limitée à penser de façon pragmatique.
Malheureusement ce qui est vrai de choses secondaires (comme ici quoique ...) l'est peut-être encore plus de choses importantes. Or je crois que Confucius aurait dit un truc du genre: "il faut gouverner les hommes comme l'on fait cuire un petit poisson". Ca sent le brûlé, ça va attacher au fond !