lundi 12 septembre 2011

Vous avez dit avantages acquis ?

Par Paul-Henri Pion

Je vous ai déjà présenté Paul-Henri dans un précédent billet où il nous parlait du “lâcher-prise”. Voici qu'il récidive sous un autre angle et une forme plus littéraire. Economiste et cadre dirigeant devenu psycho-praticien et auteur, il nous livre donc ici une analyse originale au carrefour de plusieurs disciplines.

Maintenir la solution d'un problème résolu fait apparaître de nouveaux problèmes
Le vingtième siècle a été marqué par des avancées sociales et technologiques et par la création des conditions de la crise écologique actuelle. Pourrait-il y avoir un lien entre les deux ? L'expérience nous enseigne que lorsqu'un problème se pose, trouver la solution qui lui correspond, dans le contexte où il se présente, et l'appliquer, conduit à la disparition du problème. Il est donc passé d'un contexte où solution et problème coexistent à un contexte où seule la solution existe puisque le problème a disparu. Logiquement, continuer à appliquer la solution en l'absence du problème pour lequel elle a été dessinée, conduit à favoriser l'émergence d'un nouveau problème. L'adage selon lequel la seule chose qui ne change pas est que tout change se justifie de la sorte. C'est ainsi qu'en créant des avantages acquis, le vingtième siècle a creusé la tombe de ces mêmes avantages acquis.

La retraite: un avantage acquis devenu problématique
Qu'en est-il de la retraite par exemple ? Remarquons tout d'abord qu'à l'origine des retraites, bien avant que la loi ne s'en mêle et au-delà des aspects humanistes sous-jacents, le problème visé était de fidéliser les cheminots puis les mineurs. À partir du moment où les retraites sont généralisées, la question de la fidélisation ne tient plus, puisque quel que soit le secteur d'activité, le régime de retraite se retrouve. Le problème a disparu. La solution s'est mutée en possibilité généralisée de cesser son activité à 60 ans et obligation de la cesser à 65 ans. L'évolution des conditions de vie a conduit par ailleurs à la situation que l'on connaît : si en 1975 un nouveau retraité avait dix ans de vie devant lui, en 2005 il en avait vingt et aujourd'hui il a quasiment trente années devant lui. Quelles conséquences humaines cela a-t-il d'avoir maintenu cette solution de la sorte alors que sa motivation première était éteinte ?

Contribution au ralentissement de l'économie
Le montant des pensions initialement garanti à hauteur de quarante pourcents de la moyenne des salaires des trente années de cotisation donne un premier éclairage. Il signifie que ce qui coûte cher et nécessite de gagner de l'argent n'est pas l'indépendance financière mais le fait de travailler et d'avoir à investir pour pérenniser sa capacité de travail. Autrement dit, un retraité, en cessant de travailler, diminue de soixante pourcents la richesse qu'il ré-injectait dans le système. Donc plus il y a de retraités, moins il y a de travail ! Bien des retraités vous le diront : après l'angoisse de voir leur revenu chuter avec la retraite, ils constatent que leurs dépenses ont drastiquement reculé malgré eux. En conséquence de quoi, leur départ à la retraite contribue à ralentir l'économie et compromet l'emploi de leurs enfants et petits enfants contrairement à une idée fallacieuse répandue. 
 
Malchance du retraité
Si l'on retient à présent la retraite comme une compensation de la pénibilité du travail, il y a maldonne. Le travail comme l'école est d'abord un moyen de se socialiser. Envoyer pour trente ans hors du circuit du travail un individu, revient à lui envoyer le message qu'il n'est plus à la hauteur pour contribuer au bon fonctionnement de la société et qu'il en est tellement incapable qu'il va devoir dépendre du bon vouloir d'un système de pensions. Aucune société traditionnelle n'a maltraité de la sorte ses anciens, surtout s'ils sont encore jeunes ! La vie est caractérisée par la relation. Pas de relations, pas de vie. L'homme est un être vivant jusqu'à preuve du contraire et a besoin de relations, qui plus est dans lesquelles il se sente contribuer. Même si c'est pénible. La vraie maltraitance est de lui signifier qu'il ne sert à rien. Ce que la perspective de trente ans "d'inactivité" lui envoie.

Le retraité, un potentiel  à entretenir
Enfin, il est un point essentiel pour un organisme vivant que ce système nie totalement. Un organisme est l'inverse d'une pile électrique. Moins on s'en sert, plus il s'use. Tout organisme démobilisé a tendance à s'atrophier. Ceci est en particulier vrai du cerveau. Dans un environnement où les technologies de l'information doublent de capacité tous les deux ans, laisser une part de la population sans la contrainte de se mettre à jour qu'impose la vie professionnelle, revient à la mettre en danger de marginalisation et à nourrir chez elle un sentiment d'impuissance à suivre les évolutions. Or l'impuissance ressentie dans la capacité à gérer la relation à l'autre est le fondement de la colère et du ressentiment. Poursuivre dans cette voie revient à alimenter la colère des seniors et met en danger le ciment social.

La retraite, une question à traiter avec souplesse
Voilà trois effets d'un avantage acquis qui, par construction, conduit à une grande souffrance collective. Permettre à tout un chacun de prendre des périodes de repos en fonction de ses aspirations, de sa santé ou de ses investissements passés est respectable. Rigidifier un âge et des conditions pour accéder à ces périodes est pour sa part contraire à l'évolution du vivant et à la logique. Il y a lieu de rester pragmatique, c'est-à-dire d'accéder à la complexité de la situation pour en tirer une adaptation simple et non de compliquer le système pour en tirer des solutions simplistes qui finissent par fonctionner comme des bombes à retardement.

3 commentaires:

jérôme a dit…

Moi j'ai 51 ans passés et aujourd'hui quand je croise un ami, un frère, un cousin ou autre il me parle de sa retraite. La retraite est perçue principalement comme un moyen d'échapper définitivement aux ruptures possibles de contrat de travail. C'est en gros un constat d'échec que font tous ces gens, ils vivent d'un élan qui a été donné il y a longtemps et ne se sentent plus moteurs. Au niveau d'une société c'est extrêmement grave cette perte de dynamique, d'autant plus que le jour où les retraites vont baisser n'est pas si loin. C'est la valeur que nous attachons collectivement au travail qui fait défaut sans compter tous les effets de bord qui sont bien décrits dans cet article. Travailler c'est vivre et vivre c'est travailler. J'écoutais ce midi sur France Culture une énième émission sur la formation des profs aujourd'hui, avec des témoignages. Il n'y a jamais d'émission sur la création de valeur, l'analyse des besoins des clients, la réaction des entreprises aux aléas économiques ou autre, jamais. C'est là que se passent les choses, dans les entreprises. Le travail mérite mieux, c'est un moyen de s'épanouir pourvu qu'on y croit.

actionive a dit…

Je pense que les retraites doivent s’adapter aux évolutions de notre société pour rester financièrement viable mais elles doivent aussi respecter l’équité intergénérationnelle pour être socialement acceptable. Nos très chers dirigeants semblent vouloir faire des tours de passe-passe pour réconcilier ces deux problématiques.

Quelles alternatives ambitieuses s’offrent à nous pour dépasser ces difficultés ?

Didier Chambaretaud a dit…

@ACTIONIVE
Paul Henri nous invite rien moins qu'à "changer de logiciel". Pourquoi faudrait-il qu'il y ait un âge pour se reposer, pourquoi faudrait-il tous se plonger dans l'inactivité au coup de sifflet comme des lemmings qui sautent de la falaise ? J'espère que Paul Henri vous répondra directement.
Merci de votre commentaire.