dimanche 15 juillet 2012

Arnaud Mourot: Les chaînes de valeur hybrides

Notre neuvième intervention de TEDxLaDéfense nous fait entrer directement dans le monde des entrepreneurs sociaux. Arnaud Mourot dirige Ashoka pour l'Europe francophone et également l'ONG Sports sans frontières.

Son angle:

Arnaud est dirigeant d'ONG, entrepreneur social et ancien sportif de haut niveau. Il finance le développement de projets d'entrepreneuriat social se présentant comme capital investisseur philanthropique.


Eléments clefs présentés:

Rôle d'Ashoka: historiquement il s'agissait de financer des projets d'entreprises sociales dans des pays comme l'Inde, le Brésil ... Que faire en France où l'on considère que ces "débutances" doivent être aidées par le régalien et non par la société civile ? Il fallait essayer en trouvant un premier entrepreneur.

Site de SIEL Bleu
Le tout premier entrepreneur en France: en 1997 à Strasbourg,  Jean-Daniel Muller et Jean-Michel Ricard veulent s'occuper des personnes âgées, développer les activités physiques des seniors pour les sortir de situations de dépendances ... SIEL Bleu fait économiser des milliards à la Société par la prévention des chutes des personnes âgées. Cette ONG compte désormais 300 personnes, touche 80000 personnes par semaine et divise par 2 ou 3 le risque de fractures. Appliqué à la réduction des fractures et au diabète de type 2, Arnaud nous dit qu'une étude évalue à 56 milliards l'économie en 9 ans que permet ce modèle ...

La question qui se pose aujourd'hui: alors que ce type d'accompagnement aide peut-être 200 ou 300 millions de personnes dans le monde (la cible est de 4 milliards), comment accélérer le processus ? Comment aussi permettre aux entrepreneurs sociaux de franchir les plafonds de verre et d'atteindre la taille que leur modèle permet ? Un besoin immense reste encore à servir:

Slide d'Ashoka tirée de la présentation d'Arnaud

Le levier, c'est le business: différents leviers existent, Arnaud choisit de mettre l'accent sur celui du "Business" car c'est là que se trouvent les process, les moyens. Il faut combler le vide entre l'univers des entrepreneurs sociaux qui savent adresser tous ces "nouveaux clients" et le "Business" qui en a les moyens. Car il s'agit de voir ces publics comme des clients et non comme des assistés et leur proposer des offres adaptées: c'est l'idée de l'hybridation des chaînes de valeur:

Slide d'Ashoka tirée de la présentation d'Arnaud

En quoi sommes-nous concernés ?

Arnaud n'a pas besoin d'être paraphrasé. Le besoin est là, le phénomène de convergence est amorcé. Il s'agit de l'accélérer car le temps qui nous reste est court. Le monde de l'entreprise n'est pas celui d'une morale ou d'une sensibilité humaine. Il est celui de l'action.

Nous avons l'opportunité véritable de faire converger "humanisme" et "profits", c'est-à-dire tout simplement réorganiser les priorités du monde économique en tenant compte des besoins de la société (globale qui plus est) non pas parce que c'est seulement "bien" mais parce que c'est ce qu'il faut faire: le marché existe et le savoir-faire et les moyens pour répondre à ses besoins existe .... Ou nous avons aussi le choix de gloser sur les vieilles lunes ou nos privilèges amoindris....

Voici, en tous cas, un message fort et clair en faveur à la fois des plus démunis ET des entrepreneurs.

7 commentaires:

jérôme a dit…

On a déjà parlé de tout ça ici. J'aurais aimé que M. Mourot nous explique comment il vit de ses idées, quelle est l'articulation financière de tout ça, mais j'ai bien peur qu'il vive seulement de subventions et de dons. Si c'est le cas, on est très loin du business et le potentiel de développement est forcément limité. Évidemment nous ne donnons pas assez et si nous donnons plus la redistribution sera encore meilleure mais les modèles dont il parle restent à inventer parce qu'ils ne sont simplement pas "rentables". Une personne âgée n'est pas prête à payer pour faire des exercices chaque jour, elle est intéressée si le département ou la sécu payent pour elle. M. Borloo en France nous avait fait le coup avec le "gisement des emplois à domicile": ces empois existent chez les riches et quand l'état les finance via des allègements d'impôt et quelques années plus tard, le gisement n'est est pas un.
Je regardais une des associations aidées par Ashoka, à savoir BGE qui aide les créateurs d'entreprises. Elle emploie 950 salariés, Rien que 950 salariés au smic, ça coûte sur un an plus de 20 millions d'€, tout ça (avec en plus des locaux à payer et chauffer, des frais de déplacement et même un CE à financer) pour quelles rentrées ? Ils ne vivent que de subventions ? Et sans eux, les créateurs aidés n'auraient-ils pas créé quand même ? N'est-ce pas simplement une externalisation de services publics que les politiques peuvent ainsi mieux piloter ?
On comprend facilement qu'on ne peut pas construire une économie sur de la subvention. Une organisation de quelques centaines de personnes arrive à se financer sur des dons avec le bagou et les connaissances de son créateur mais ne comblera pas les besoins de milliards de gens qui ne mangent pas. J'aimerai bien comprendre les perspectives de tout ça. Si on paye des gens pour en aider d'autres, on a forcément des résultats mais ces activités seront-elles autre chose que de l'humanitaire ?

Didier Chambaretaud a dit…

Bonjour Jérôme, je ferai suivre à Arnaud s'il n'a pas vu votre commentaire.

Vous posez-là une excellente question. A moi d'en poser une: et le service public, qui paie ? Est-ce rentable ? Est-ce même seulement géré ?

En outre, je crois que vous ne percevez pas l'ampleur de ce que représente Ashoka. A tout le moins, je dirai simplement qu'il s'agit d'un Business Model bien géré !

Enfin, il s'agit d'un modèle qui a démarré dans des pays où l'Etat-providence n'existe pas... Il faut prendre leur démarche pour ce qu'elle est: globale !

Cela dit, c'est cette focalisation (et qu'Ashoka maîtrise) qui est dans les gènes des entrepreneurs qui fera toute la différence avec notre système actuel. d'autres exemples dans les jours qui viennent.

Quand j'aurai terminé cette série d'article, j'annoncerai ma contribution à cette démarche !

jérôme a dit…

J'ai regardé d'autres "Fellows" d'Ashoka. J'en vois un qui propose des gardes d'enfant épanouissante à Montmartre puis ailleurs avec des tarifs qui commencent à 0,1 € de l'heure, un autre qui propose de construire votre maison avec des ouvriers en réinsertion, une autre qui informe sur les rivières et veille à leur pérennité. Chaque fois, de l'argent public ou des dons sont derrière. Et je ne suis pas sûr que pour une association qui surveille les rivières, on n'ait pas quelques milliers de fonctionnaires qui soient déjà payés pour ça.
Ces initiatives ne sont pas inutiles mais à partir du moment où elles ne s’auto-suffisent pas elles ne peuvent pas régler les problèmes qui sont devant nous. Je vais moi jusqu'au Mexique chercher des clients, personne ne m'aide, même quand je demande. Et un banquier ne me prête 100 que si je lui laisse 100 en garantie. Et pendant ce temps, des gens qui n'apportent en garantie que leur bonne volonté et sans perspective de recettes se voient financer leurs rêves et posent devant les journalistes...
Je pousse un peu loin, certaines initiatives sont utiles, tout le monde ne peut pas payer la garderie pour son enfant, mais la France est aussi en train de mourir de son embonpoint.

Didier Chambaretaud a dit…

Il est difficile en effet d'être certains de ce que sera le paysage général à partir de quelques exemples. Il est possible que certaines choses ne soient pas viables.

Il est aussi possible que certaines idées fassent souche et trouvent des ressources pérennes ... c'est le propre des débutances.

Nous verrons prochainement comme l'internet change la donne et aussi comment les pays émergents développent des "équations de co-responsabilité" là où l'Etat providence n'existe pas. Je crois qu'il faut partir de la situation telle qu'elle est, dans sa diversité et que les choses se décanteront.

Ce qui est certain c'est que le besoin d'un entrepreneuriat rénové est une absolue nécessité. Je crois que c'est justement ce que fait Ashoka et d'autres ...

Didier Chambaretaud a dit…

Je vous transmets la réponse que vous fait Arnaud Mourot.

De retour de voyage voici quelques éléments de réponse que je souhaitais vous apporter.

Votre question sur les modèles économiques est juste. On peut et on doit se poser la question de savoir qui paie quoi et si cela vaut le coup de le faire.

Mais la première question à se poser est de savoir si le service rendu par un entrepreneur social a un impact pour les bénéficiaires ou pas.
Si la réponse est oui, alors on peut passer à la seconde, celle du modèle économique et de qui paie quoi.
Dans le cas de Siel Bleu, ce sont soit les personnes âgées qui paient directement, soit les caisses de retraites (qui ont compris l'intérêt de leurs clients ainsi que le leur) mais aucune subvention publique
Dans le cas de Momartre, c est un mix de participation des usagers ( avec des tarifs en fonction des revenus) de dons et de subventions.

Et si ce modèle est satisfaisant pour toutes les parties ( usagers, pouvoirs publics et autres donateurs) alors il sera pérenne et permettra à l'organisation de délivrer son impact sur le long terme sans forcément avoir un modèle économique marchand. Mais tout ne peut pas être marchand et recevoir des subventions n'est pas forcément une mauvaise chose si votre service est plus performant que ce que ferait l'Etat que c'est donc une façon pour lui de l'outsourcer, cela devrait se voir de plus en plus dans l'avenir.

Un modèle économique doit donc être analysé en regard de l'activité, de la maturité des organisations et de son efficience. À ce titre je vous invite a regarder sur notre site www.ashoka.fr les études d'Impact réalisées par Mckinsey et qui evaluent les economies que permettent de réaliser 10 de nos entrepreneurs.

Comme vous le verrez, investir dans ces projets, même sous forme d'argent public, est trés rentable... pour la société!

Arnaud Mourot

jérôme a dit…

Merci à M. Mourot pour sa réponse.
Je ne suis pas insensible à l'utilité sociale d'un organisme, bien au contraire. Dans ma réflexion, je faisais surtout référence aux défis qui se présentent à notre pays et face auxquels la création d'activités ou emplois subventionnés ne peut pas aller dans le bon sens. Surtout si leur raison d'être est une déficience des services publics existants.
A une époque j'ai essayé d'utiliser des entreprises de réinsertion. Il en existe de multiples, toutes financées par les pouvoirs publics. Un jour j'ai vu débarquer 2 armoires à glace dans mon entreprise qui venaient au nom d'une association me réclamer l'équivalent de 100 € que j'aurais dû payer à une personne venue travailler chez nous mais qui, lors de son passage, avait juste insulté des salariés, endommagé une de leurs voitures et n'avait pas fait ce qu'elle aurait dû faire puisque chaque fois qu'elle venait elle était ivre. Le soir en sortant, je regardais dans la rue pour être sûr que personne ne m'attende dehors pour me faire la peau.
Nous sommes tellement habitué à un état inefficace que nous allons jusqu'à le suppléer. Donc quand je paye mon assurance Europe Assistance ou quand je vais acheter des pièces chez Rexel, je dois me dire que 1% de ce que je leur donne est une subvention qui atterrira chez Ashoka pour subventionner des entreprises qui viennent remplacer des services publics inefficaces que je finance déjà. Et à côté je vois une entreprise de peinture qui ferme, peut-être parce qu'elle est en concurrence avec une entreprise financée par Ashoka et qui construit votre maison avec des salariés handicapés ou en réinsertion payés grâce à mes subventions...
J'ai regardé hier le bilan de ABC Microfinance, la société qui est derrière Babyloan. Cela me paraît ressembler beaucoup à une pyramide de Ponzi, les nouveaux souscripteurs financent une structure très largement déficitaire (http://www.societe.com/bilan/abc-microfinance/502860919201012311.html).
Alors bon, vous allez me dire "Mais au moins ils essayent de faire des choses et qui le ferait à leur place". En effet, on peut penser cela.
Mais la finance sociale n'est-elle pas le stade actuel de développement d'une société qui capitalise beaucoup grâce aux prélèvements obligatoires ou contraints ? Loin d'être la solution aux problèmes, n'est-elle pas surtout une facette des symptômes, les symptômes d'une société où il est plus facile de suppléer que de transformer ?

Didier Chambaretaud a dit…

Et avez-vous payé les 100 € ? J'ai eu un cas approchant, je n'ai pas payé !

Pour ABC, je rappelle qu'un ponzi est un système dans lequel les nouveaux paient les revenus des investissements des premiers. Pour moi, cela n'est pas du tout le cas. Les prêts sont faits à des vrais gens qui les remboursent mieux qu'aux banques classiques.

Le déséquilibre d'ABC est lié au financement de la "débutance". Il s'agit d'une start up qui doit périodiquement élargir son tour de table et cela n'a rien à voir avec la structure du micro-crédit sur internet.

Babyloan ne se finance pas sur les micro-crédits comme les banques mais sur une commission fixe à chaque opération de prêt. Du coup, il faut atteindre un certain seuil pour financer la structure. Histoire classique.