mercredi 6 juillet 2011

Faut-il négocier avec les terroristes ?

Cette dernière semaine a été marquée par la libération de deux otages en Afghanistan, tant mieux (la photo ci-contre à droite provient du site de FR3.fr). Je voudrais profiter de l'événement pour répondre à la question du titre, saluer le travail des négociateurs de l'ombre et présenter une excellente méthode de négociation.

Nous l'avons entendu maintes fois, les politiques disent: "nous ne négocierons pas avec les terroristes !" Faut-il les croire ? Faut-il suivre les journalistes qui immédiatement lancent la polémique: qu'est-ce que le gouvernement français a donc lâché ? Avant de répondre à la question-titre et de vous raconter une petite anecdote personnelle, je voudrais vous présenter une vidéo longue de William Ury, elle n'est pas traduite, la voici pour ceux qui veulent en savoir un peu plus sur l'un des deux fondateurs de la méthode de négociation raisonnée développée à la Harvard Law School:

J'espère bien que certains d'entre vous auront la patience de l'écouter jusqu'au bout car il s'agit de l'expert mondial n°1 du domaine. Voici une seconde vidéo beaucoup plus courte dont j'ai eu l'occasion de faire la traduction des sous-titres sur TED.com et que je diffusais à l'occasion des voeux de la nouvelle année. La revoici:

En très résumé:
Vous pouvez négocier selon trois modes principaux: sur la base d'un bras de fer (la guerre par un moyen pacifique), le marchandage ou la négociation raisonnée, celle dont parle Ury ici. Cela fait presque 30 ans que je connais ses livres et ceux de Fisher et même que je les enseigne pour partie et cela fait seulement une semaine à l'occasion d'une formation fort bien faite que je viens de comprendre ce que  nous redit W Ury dans la première vidéo ci-dessus: nous passons l'essentiel de notre temps à négocier en famille, au bureau, avec soi-même aussi. Et bien sûr à l'occasion des grands conflits de notre temps. Les conflits sont partout: ouverts ou larvés, armés ou au tribunal, assumés ou ignorés ... Autant comprendre de quoi il est vraiment question car il ne s'agit pas d'une simple recette mais véritablement d'une révolution de l'Esprit ! Au passage, reportez-vous à leur livre de base en français: Comment réussir une négociation.

Le principe:
Dès que deux points de vues se rencontrent, ils peuvent s'opposer. Si l'on laisse les énergies et les émotions se masser derrière les positions des protagonistes, on arrive à la guerre totale ... jusqu'à ce que l'amoncellement des cadavres les amène à négocier ! William Ury rappelle que les sociétés traditionnelles "stables" disposent d'un moyen d'éviter le conflit: la troisième force, "the third side". Un principe de médiation naturel: la pression informelle de la communauté des proches et des amis qui amène à découvrir la position commune viable pour les deux protagonistes sans en venir à la guerre ou au meurtre.

Le principe du médiateur est de retrouver la voie de cette troisième force, de créer les conditions de la négociation (voir mon article sur le sujet ici). Puis, se tient la négociation proprement dite qui consiste à distinguer les personnes du problème, "être doux avec les gens et durs avec le problème". Il s'agit alors de discuter non pas des positions qui s'opposent mais de découvrir les intérêts de chacun qui sont cachées derrière et d'imaginer les options les meilleures qui vont permettre de trouver un accord durable.

Les anecdotes:
Ecoutez d'abord celles de William Ury.

Cependant, comme vous le savez, j'aborde le plus souvent des sujets vécus personnellement. Je vous parlerai bientôt d'un conflit d'entreprise que je vis maintenant depuis 4 ans mais en attendant de l'avoir enfin résolu et tout en enseignant partiellement les techniques de négociation moi-même, je continue à me former, ce que j'ai fait la semaine passée au sein de l'Ecole Centrale à Paris sur le thème de la Négociation Raisonnée de Harvard par Philippe Hardier du cabinet GT Conseil que je recommande. Comme je le disais, nous négocions tout le temps. En même temps, les conflits explosent tout autour de nous car il est de plus en plus difficile de les traiter par la force, le mépris ou l'autorité "hiérarchique" surtout quand les média s'en mêlent ... Il va donc falloir apprendre à négocier. Et quel est l'obstacle majeur à la négociation dont le champ s'élargit chaque jour ? Comme le dit W. Ury, c'est ... nous-mêmes ... qui sommes les jouets de nos émotions et de celles de nos interlocuteurs !


Le paradoxe du gourou de la négociation:
Voici donc une petite négociation paradoxale dans laquelle j'ai été partie prenante. Paradoxale car elle illustre ce que je viens de dire et pourtant elle m'oppose à l'un des plus éminents représentants de la méthode Fisher et Ury en France. Cet homme connu dans son milieu, préfacier et auteur de divers ouvrages dont certains sont fondamentaux, forme des négociateurs. Voulant compléter mon cursus de médiateur par un rafraichissement sur la méthode Fisher et Ury sans aller à Boston cette année, en ce mois de Février, je contacte son secrétariat pour trouver une place dans l'un de ses stages. Possible malentendu à l'énoncé de mon profil, il semblerait que ce cabinet pourrait me proposer une collaboration alors que je ne demande qu'une formation. Echange très courtois et agréable puis pas de son, pas d'image pendant deux mois.

Ma formation à la médiation entamée, je rappelle et je sens alors que l'on ne veut ni prendre mon inscription ni me dire pourquoi. Après plusieurs rappels et force insistance, je ne peux toujours pas parler au "gourou" mais je comprends qu'il ne veut pas prendre le risque de me former car il craint de créer ainsi son propre concurrent ! Je pourrais en effet enseigner cette matière très porteuse mais ce n'était pas mon intention de le concurrencer et  de toute manière, je crois qu'il y a vraiment beaucoup de place pour cette matière sans s'en prendre au gâteau d'un gourou !

En quoi cela nous concerne-t-il ?
Tout d'abord, j'ai découvert l'importance de ces techniques et surtout leur utilisation au sein d'un continuum qui va de la guerre à la paix et les limites de leur utilisation. On ne négocie pas quand on pense facilement détruire son ennemi ou lui prendre ce que l'on convoite.

Nous négocions quand nous y avons intérêt. Encore faut-il savoir le faire ! Le gourou ci-dessus m'a démontré que, même un spécialiste, peut partir en vrille rapidement suite à une mauvaise gestion de ses propres peurs et autres émotions et des malentendus. Son refus s'appelle en droit un "refus de vente" surtout s'il n'est pas ou mal motivé... Je ne l'ai pas attaqué en justice (j'avais une bonne "MESORE" ou "BATNA*"). J'aurais pu.  Cependant, alors que Ury et Fisher insistent sur la nécessité de se centrer sur les intérêts et le problème, le "gourou" n'a fait aucun cas de ma personne ... qui saura s'en souvenir et le raconter: la preuve !

J'ai également découvert à cette occasion la vertu cardinale de la simple question "pourquoi ?" qui permet même en cas de positions inconciliables (95% des négociations n'ont pas, au départ, de zone d'accord potentiel !) de trouver des options créatives de solutions communes car le "pourquoi" quand il est bien présenté met sur la voie de l'écoute active. Dans le cas du gourou au moins, malgré l'échec de notre négociation, j'ai rétrospectivement appris et compris que les meilleurs experts ne sont pas forcément ceux qui s'auto-proclament tels ! Faites ce que je dis ... pas ce que je fais ! S'il avait soudain changé d'attitude à mon égard, aurais-je maintenu ma demande à votre avis ? Absolument pas car il m'a démontré son manque de maîtrise tout en me faisant une démonstration éclatante mais par l'absurde de la nécessité d'être "congruent**", au moins en ce domaine.

Alors revenons au titre, faut-il négocier avec les terroristes ? 
Hé bien si vous ne pouvez pas libérer les otages par la force ou la menace, avec qui d'autre voudriez-vous négocier, avec leurs grand-mères ou avec leurs imams ? Evidemment qu'il faut, dans ce cas, négocier avec les terroristes preneurs d'otages. Et que faut-il lâcher ? Le moins possible pour obtenir le mieux possible pour les otages et pour son pays tout en obtenant un accord de la partie adverse ! Et cela nécessite beaucoup d'écoute, de maîtrise et de "pourquoi ?". Je pense que M. Juppé plus que d'autres sait gérer ce type de situation. Bravo donc à son administration et bon retour aux otages.

* MESORE: MEilleure SOlution de REchange (traduction de BATNA)
BATNA: Best Alternative To a Negotiated Agreement
** Congruence: terme employé par le pyschologue Carl Rogers pour indiquer une correspondance exacte entre l'expérience et la prise de conscience. C'est ainsi que la congruence est la qualité majeure pour celui qui enseigne la pédagogie, écrit sur l'écriture, conseille les consultants, communique sur la communication ...

Aucun commentaire: