lundi 4 avril 2011

Michel Serres sur la veritable crise

Depuis que j'ai ouvert ce blog, il y a un philosophe auquel je n'ai fait que peu référence. De manière détournée, j'ai parlé de lui sur le rugby. Il est agenais et fan de rugby.

Michel Serres est un philosophe académicien qui aborde les rapports singuliers et complexes entre l'homme et la nature notamment dans des analyses assez subtiles entre Sciences et Droit. A coup sûr, il est le seul philosophe français enseignant à Stanford University dans sa propre langue. J'ai sélectionné une très brève vidéo faisant suite à la parution de son livre Temps des crises, la voici:


Quelle différence frappante entre la perspective de Michel Serres et celle que nous trouvons partout.! Mme Lagarde sort de la crise tous les deux mois. A la suite de Paul Jorion et de quelques serial prophètes du chaos, certains passéistes "de gauche" annoncent que la crise des subprimes préfigure la fin du capitalisme. Les écologistes dépriment sur la montée du niveau des océans ou sur la couche d'ozone sans jamais percevoir l'image d'ensemble ni favoriser la résilience du système complet ... 

Michel Serres voit beaucoup plus loin: nous sortons d'une ère majeure qui dure depuis le néolithique ! Il prend la mesure  des effets de la science et de la technique, de l'impact de la médecine qui a doublé la longévité des "riches" en quelques générations,  de l'explosion démographique qui d'ailleurs tend à se ralentir ainsi que des énormes effets de l'Homme sur son biotope. Et que nous dit-il ? Pas que puisque la bourse remonte, la crise est finie, pas que puisque les banques n'ont pas modifié leurs pratiques, le capitalisme est mort, pas que la terre ne peut nourrir sa population, pas que le climat va tout détruire. Michel Serres comme il y a vingt ans à l'occasion de la sortie de l'un ses livres majeurs: Le contrat naturel nous explique qu'en vérité, comme l'a dit Paul Valéry, l'Homme vient d'acquérir en "deux matinées de colère" en 1945 la certitude de bientôt contempler non seulement sa propre fin individuelle, non seulement la fin de sa civilisation qui intervient chaque millénaire environ mais encore et surtout celle de son espèce dans sa globalité et qu'en conséquence, il doit radicalement modifier le contrat qu'il a passé avec la Planète !

Pour Michel Serres en effet, la tâche fondatrice à laquelle nous devons nous atteler dans les générations à venir et dès maintenant, c'est la refondation d'un contrat d'Espèce avec notre planète. Sur le modèle du virus qui tue son hôte presque tout le temps, l'homme transforme son biotope, la Terre., au point de l'asphyxier. Pour pouvoir habiter sa maison commune et y survivre, il doit se transformer lui-même, muter de virus-tueur en un symbiote harmonieux.

C'est toute la civilisation humaine désormais mondialisée qui devra refonder sa société avec cet objectif majeur. Régler au passage le mode et le niveau de production et donc de consommation de ressources, le type de répartition sociale et donc de partage et d'accumulation capitalistique et de consommation ne seront que des effets de ce travail essentiel. Des moyens pour une fin devenue urgente car comme le disait Buzz Holling notre monde est résilient mais seulement jusqu'à un certain seuil. Les combats de chapelles politiques apparaissent dès lors bien vains comme les débats des vieux militants confits de marxisme sont bien dépassés comme le sont aussi les différentes Eglises quand elles sont arc-boutées sur leurs dogmes et leurs différences plutôt que sur un oecuménisme au service d'une cause commune qui les dépasse.

Pour aller plus loin je vous conseille cette autre vidéo avec Michel Serres comme invité de l'émission "les enfants d'Abraham" sur Direct 8 en présence de représentants des trois monothéismes:



En quoi ceci nous concerne-t-il ?
Simple: inscrire notre activité dans le temps long, dans les changements majeurs, dans les transformations discrètes et non dans les luttes du passé, ni les balivernes du temps présent.  Facile à dire mais plus difficile à faire quand il faudrait peut-être du même coup renoncer à sa voiture de fonction, à on salaire conséquent ou à ses heures de délégations confortables !

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