mercredi 30 mars 2011

Permis à point: rentabiliser ou responsabiliser ?

Dans ce blog, je n'ai pas en général pris la parole pour râler. Je souhaite plutôt y présenter des expériences  positives qui marchent. Aujourd'hui cependant, je voudrais vous présenter une expérience personnelle qui me fait suggérer des changements à ceux qui sont chargés d'administrer cette institution: le permis à point et spécifiquement la récupération des points.
Voici une vidéo explicative pour ceux qui ne connaissent pas encore:

Perte de points:
Vous dirais-je que j'en suis à mon deuxième stage en 4 ans ?  Hé bien oui, plusieurs excès de vitesse de moins de 5 km/h à des endroits où les radars avaient été astucieusement déplacés et un téléphone décroché à l'arrêt au feu m'ont amené à faire ce stage pour ne pas risquer de rouler sans permis et sans assurance comme le font désormais des centaines de milliers de personnes.

Conduire sans permis n'est pas un mythe:
Par deux fois d'ailleurs, j'ai eu chez Let (mon ancienne entreprise si chèrement acquise) deux cas de chauffeurs conduisant sans permis. L'un nous a prévenu une semaine avant de recevoir sa lettre et deux jours avant de commettre un accident responsable avec dommages corporels. Ainsi prévenus, nous avons agi de façon ad hoc et échappé à une mise en cause pénale et même réussi à aider le chauffeur malgré son licenciement ... L'autre a cherché à éviter de présenter son permis prétendant un vol, une perte ... Avec l'aide officieuse des services appropriés, nous avons su que cet employé conduisait depuis presque un an sans permis. Bon conducteur, prudent au demeurant. Il a été licencié et nous avons échappé de peu au prud'homme pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (je n'exagère pas du tout, mais c'est un autre sujet sur lequel le Procureur de la République a oublié de me répondre !).

Tour de table:
Donc tour de table des 21 participants de mon deuxième stage.... pendant une grosse demi-journée. Et ce ne sera pas le seul. Objectif: nous montrer avec qui nous partageons la route. Apparemment pas de cas pathologiques dans cette cession mais beaucoup de témoins exaspérés par l'attitude des forces de l'Ordre et par le côté "racket organisé" qui indigne tout un chacun. Un livre au passage:Le scandale du permis à points

Méthodologie de gestion du changement:
Les organisateurs de stages (nous laisserons de côté les affairistes peu scrupuleux qui profitent de la manne) suivent une méthode et un contenu prescrits par l'autorité de tutelle. Il s'agit de sensibiliser pour faire changer: Bon !
1) La première cause d'accidents est le comportement du conducteur (je ne dis pas le contraire !)
2) Pour diminuer le nombre de tués, il faut changer de comportement et surtout réduire la vitesse (pas seulement mais jusque là je suis d'accord)
3) Pour cela, il faut que les conducteurs prennent conscience de leurs défauts (certes mais comment ?)
4) Pour cette prise de conscience, il suffit d'en parler et prendre connaissance des informations de la Prévention Routière (là non, aucune parole pédagogique n'est aussi puissante que cela)
5) La pédagogie justement est fondée sur l'échange entre participants. Chacun se rendant compte de qui partage la route avec lui ... "le plus intéressant, c'est ce que disent les stagiaires entre eux". Justement cette pédagogie-là est en défaut complet par rapport aux objectifs.

Contenu de la "formation"
Interrogé comme les autres participants, j'ai souligné que si l'objectif d'un tel stage est louable (sensibiliser pour faire changer les comportements), les moyens mis en oeuvre ne sont pas adaptés. Faire raconter les cas particuliers et présenter quelques statistiques générales (hors contexte d'ailleurs) pour tenter de justifier l'effort répressif de l'Etat n'induit pas sérieusement une prise de conscience. Il s'agit de renforcer la peur du gendarme et de la justifier par une tentative maladroite de culpabiliser les participants.
Que faire alors ? J'ai, comme lors de mon premier stage, suggéré des mises en situation au volant pour tester par exemple, le comportement du véhicule en cas de freinage, les temps de réaction et les distances d'arrêt. Cela peut se faire sur circuit ou même sur un parking. Le psychologue (l'un des deux intervenants agréés de chaque stage) dispose en outre de petits jeux perceptifs à administrer en salle révélant les défaillances de notre oeil, de nos temps de réaction ou de notre cerveau. Pourquoi n'est-ce pas fait de façon professionnelle ou pas fait du tout ?
Pourquoi les acquis de la gestion du changement ne serait-il pas utiles dans un tel contexte ? Apprendre, c'est effectivement changer son comportement. Les participants le disent sans se cacher: ils ne sont pas là pour changer mais pour récupérer les points et éviter de se faire prendre à l'avenir si possible.

Attitudes et liens entre participants et avec les intervenants:
Les participants se livrent peu mais développent entre eux une certaine complicité. Il m'est arrivé de voir que si l'on répond sérieusement aux animateurs en commentant par exemple les statistiques tronquées qui sont livrées, les animateurs peuvent aller jusqu'à "craquer"car ils se rendent compte de leur propre insuffisance.
Par exemple, savez-vous qu'il y a plus d'accidents en terrain plat qu'en route de montagne ? En déduisez-vous comme les animateurs que cela montre que seule l'inattention ou le mauvais comportement des conducteurs est en cause. Non, en l'absence d'une comparaison de ces données précises avec le nombre de kilomètres parcourus sur la même période de recueil sur le plat et en montagne, on ne peut simplement rien conclure statistiquement. Entendant cette réponse de bon sens, j'ai alors personnellement vu  l'intervenant de la prévention routière fondre en larme et quitter le stage en prétendant que les participants avaient vis à vis de cette personne une attitude perverse et sexiste (cas vécu en 2007 à l'occasion de mon premier stage)!
Cette fois-ci j'ai été éberlué d'entendre la psychologue affirmer, afin de "tuer dans l'oeuf" l'idée de faire des stages de pilotage routier, que "8 pilotes de course automobile sur 10 périssant en voiture mourraient sur la route plutôt que sur la piste" ! Interrogée, l'intervenante n'avait évidemment pas de sources pour une telle "statistique". Nous lui avons alors fait la suggestion d'établir une liste nominative. Ce doit être possible grâce à Google ! L'état d'esprit n'était donc pas, là non plus, ni à la franche confiance, ni à la sympathie. La tentative de manipulation est à la fois trop maladroite et trop dérisoire.

Etat d'esprit:
Le présupposé sur le changement souhaité et sa faible efficacité étant établis, il me reste à témoigner d'un état d'esprit qui me semble inadéquat.  Il y a un désamour des conducteurs vis-à-vis de leur Police et de l'Etat qui, lui, a les caisses vides. Il s'installe par ricochet une situation désagréable, participants culpabilisés et faussement écoutés, intervenants moralisateurs et manipulateurs maladroits eux-mêmes manipulés.
Le tout fonctionne sur un contrat minimal: les uns paient leurs 210 à 250€ et respectent les horaires scrupuleusement, les autres qu'ils soient convaincus ou non suivent un canevas et déroulent sans talent ni conviction un discours convenu. Les uns repartent frustrés d'avoir été pris pour des enfants, les autres d'avoir été agressés par des "sales gosses". Le b-a-ba de l'analyse transactionnelle nous apprend que s'installe  ainsi une relation parent-enfant directement issue de la politique de l'Etat. Des relations Adultes-Adultes pourraient prévaloir  dans de tels stages comme d'ailleurs après, sur la route et vis-à-vis des forces de l'ordre. Non seulement l'objectif n'est pas atteint et le temps et l'argent sont gaspillés mais j'ai même le sentiment que les attitudes vis-à-vis de l'Autorité en sortent dégradées. N'est-ce pas le signe d'un malaise plus profond ? Vous savez, ces fameux signaux faibles que l'on n'écoute qui si rarement ...


Petites dérives ordinaires:
Nageant a priori dans la "bien-pensance", un tel stage permet  au surplus de voir apparaître des dérives ordinaires inquiétantes que je vous soumets.
1) Les participants posent des questions précises, on y répond par: "on va voir cela". Compte tenu du temps énorme passé en tours de tables inutiles, beaucoup de ces points ne sont jamais traités.
2) Telle participante émet des avis contraires ou cite des attitudes plus positives à l'étranger qui déplaisent à la "psychologue". Lorsque viendra le moment de donner une feuille de papier aux participants qui en font la demande pour répondre à un jeu d'observation d'ailleurs bien sommaire, elle sera ostensiblement punie d'un refus ... Pourquoi une telle pédagogie vexatoire de la part d'une "psychologue" agréée ?
3) Tel autre participant est africain et s'exprime difficilement devant un groupe. Ses questions seront interrompues, "on verra", et on n'y revient pas vraiment. Par contre, quand il s'agit de décrire tel élément visuel, la même "psychologue" fera la remarque que l'élément en question est "noir, comme toi X !" en désignant ce participant africain en particulier. Nous n'avons pas réagi tellement c'était inattendu. Je m'en veux de n'avoir pas quitté la salle. Il est aisé d'imaginer ce que peut ressentir cette personne en un tel cas et encore plus demain en situation de stress sur la route devant les représentants de l'Ordre.
4) Enfin, malgré la demande explicite de plusieurs participants, les intervenants refusent de remettre une fiche d'évaluation à remplir par les participants ... ont-il si peur ?


En quoi cela nous concerne-t-il ?
Tout d'abord, il serait probablement temps de faire savoir aux Autorités, que la farce de la "sensibilisation" a assez duré et qu'à l'heure où l'on cherche à réaliser des économies, il y a lieu soit de passer à autre chose, soit de chercher sincèrement à améliorer et à professionnaliser l'existant.
Ensuite, je faisais allusion dans un billet à propos de M. Gauchet aux faiblesses et imperfections chroniques  de la démocratie. Je crois que ces faiblesses sont partout. Sous couvert de sécurité et d'Ordre public qui sont des intentions légitimes, notre Etat, ses représentants ou ici ses sub-délégués commettent au quotidien des petits abus, certes tout petits. Je les crois significatifs et peut-être représentatifs de quelque chose qui se délite doucement.
Il appartient à chacun de nous de rester vigilants, de chercher à respecter lois et règlements mais jamais ni au mépris du bon sens, ni au détriment des principes qui fondent théoriquement notre "vivre ensemble".

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