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mercredi 7 septembre 2011

Polémique comptable ou problèmes de fond

La semaine dernière, une polémique a été lancée par la nouvelle Directrice du FMI, la sémillante et souriante  Christine Lagarde. Le FMI a-t-il décidé un grand emprunt mondial pour aider le tiers monde ? Pas tout à fait. Mme Lagarde dont l'esprit d'à-propos a déjà fait merveille, vient de conseiller aux banques européennes d'augmenter leurs fonds propres pour couvrir leurs risques compte tenu de la désormais médiocre qualité de leurs créances aux Etats en difficulté comme la Grèce ...

De quoi s'agit-il ?
D'une différence comptable ! Aux USA, dont l'orthodoxie bancaire passera à la postérité après l'affaire des subprimes entre autres, il convient d'enregistrer au bilan les créances à leur valeur de marché et en Europe elles le sont à la valeur faciale moins une décote de 21%. Donc en simplifiant (car il faudrait tout prendre en compte) quand une créance n'est pas spécialement risquée, elle est sous-évaluée en Europe (et le bilan paraît moins bon) mais quand le risque est fort comme dans le cas de la crise grecque, il se peut que la créance soit sur-évaluée (et le bilan paraît meilleur de ce fait)."Selon le FMI, si les banques européennes prenaient en compte les obligations souveraines de la zone euro, et donc de la Grèce, à la valeur qu’elles ont actuellement sur le marché, leurs fonds propres perdraient immédiatement de 10% à 12%. Soit un besoin de recapitalisation de 200 milliards d’euros pour être certain de faire face à la crise."

Pour évaluer la solidité d'une banque, il faut analyser l'ensemble de son portefeuille de créances (pas seulement certaines dettes car selon les méthodes choisies, les risques peuvent se compenser) et sous un ensemble de critères ... Il y a maintenant les stress-tests pour cela, l'ancien ratio Cook ne suffit plus et bientôt se réunit le comité Bâle III pour revoir tout cela une nouvelle fois. L'argument de C. Lagarde n'est donc pas intrinsèquement faux mais il est très insuffisant et devrait être nuancé. Une mesure plus logique aurait pu être de proposer de changer de méthode comptable en Europe pour TOUTES les créances et pour TOUTES les Banques, de refaire les stress tests et de voir alors si la banque européenne est moins protégée que son homologue américaine. Il me semble que l'affirmation de Mme Lagarde soit donc pour cette raison  hâtive et insuffisante techniquement. En revanche, les conséquences de son application, elles, me semblent au contraire très nettes si l'on réfléchit un peu. Voyons ce que tout cela pourrait bien vouloir dire.

Quelles seraient les conséquences ?
Imaginons que ce ratio soit actuellement de 5% (pour prêter 1000, la banque doit avoir 50 dans ses coffres). Cela veut dire que si les banques devaient passer à 10%, pour prêter 1000 elles devraient avoir 100 en propre ou avec 50, diminuer leurs créances de 1000 à 500. Ce % détermine les fonds que la banque doit détenir en propre (capital principalement) pour faire face à des faillites "normales" voire, dans le cas précis, à une crise exceptionnelle et pouvoir continuer à honorer ses propres engagements. Car la banque ne prête pas que son propre argent ou les dépôts de ses clients, elle emprunte également ... On comprend que ces ratios servent théoriquement à éviter les faillites en chaîne. Et doubler ce ratio signifierait soit doubler son capital soit réduire de moitié ses prêts ou un peu des deux !

La mise en oeuvre de cette idée poserait un vrai problème économique. Imaginez-vous tout un chacun dans un tel contexte souscrire à l'augmentation de capital massive des banques que cela signifierait ? Et avec quel argent ? Alors sans apport supplémentaire, il faudrait que les banques réduisent leurs prêts de moitié. Tout simplement. Moi qui aimerait revendre ma maison, il faudrait que je songe à limiter mes recherches aux seuls acheteurs qui pourraient se passer de prêt immobilier parce que dans une telle situation, l'accès au crédit serait rendu encore plus difficile aux acteurs "normaux" de l'économie (entreprises et particuliers). Je viens rarement au secours des banques (qui n'en ont pas besoin d'ailleurs) mais là se profilerait une crise financière bien plus importante. Une telle proposition aurait pour effet de réduire la masse monétaire "M2" (celle qui correspond justement aux crédits) et de plonger rapidement les économies dans une récession plus brutale et plus massive encore que celle que nous connaissons déjà. Je n'aurais pas l'outrecuidance de conseiller cette vidéo à C. Lagarde mais si vous, vous avez un peu de temps, allez regarder (merci Christine !).

Comme le disait Jean François Noubel à TEDxParis en Janvier, il y a déjà un phénomène de "condensation" monétaire qui limite l'accès à la monnaie (l'adage dit qu'on ne prête qu'aux riches !). Ce phénomène serait encore accru. Alors là n'y pensons même plus ! Et pourtant, les enjeux économiques, sociaux et environnementaux ne justifient-ils pas que les acteurs économiques investissent pour y faire face ?

Que faudrait-il faire alors ?
D'abord, souvenons-nous des causes du problème: la crise des subprimes est venue d'une opacité artificiellement créée pour diluer de mauvais risques pris sur l'immobilier aux USA. Il s'agirait donc plutôt de surveiller en amont des ratios prudentiels, la qualité du travail d'engagement des banques. Car pour autant, je ne dirais pas comme Mme Parisot que les banques européennes sont si solides. Les ratios actuels ne sont pas toujours respectés et nous ne sommes pas à l'abri que certaines fassent défaut parce qu'elles prêtent aux Etats qui n'en font pas. Mais s'occuper des ratios ne suffit pas. C'est tout le système de management des hommes et des risques qu'il faudrait rendre plus pertinent et plus près des réalités économiques et sociales, par une gouvernance au niveau des conseils d'administration plus affutée et enfin par un meilleur contrôle des institutions financières de la part des Etats. En gros, par un véritable exercice des responsabilités de chaque niveau à l'intérieur et au dehors des banques. 

Venir a posteriori simplement modifier les ratios de gestion (et pas qu'un peu) sans se préoccuper de la chose gérée, est-ce bien responsable ?

Qui est le plus irresponsable ?

Certaines banques sont donc  coupables à l'origine d'avoir mal fait leur travail. Aujourd'hui elles le sont d'avoir prêté à la Grèce, quel est le plus gros problème ? Un Etat comme la France disposant (encore) d'un "AAA" et qui est  endetté à plus de 80% de son PIB dispose d'un accès au marché dans les meilleures conditions c'est-à-dire avec les meilleurs taux. Par opposition, mon acheteur immobilier même disposant d'un emploi stable et de garanties, si ses remboursements dépassent 30% de son revenu, n'aura pas de crédit du tout... Même idée pour les entreprises. Or un budget d'Etat chroniquement en déficit ramené à 3% de déficit annuel est, dans le même temps, considéré comme vertueux... Que se passerait-il si votre budget à vous était bouclé au mieux à 97% ?

Ne serait-il pas préférable de recommander aux Etats une gestion plus seine et de s'appliquer à eux-mêmes les règles qui prévalent pour les autres acteurs économiques ? Ce qui est l'évidence pour vous devient une règle d'or" pour l'Etat  de nos jours !!! Difficile dans ces conditions de parler de prises de responsabilités de chaque niveau. Ne dit-on pas qu'un escalier ça se balaie en commençant par le haut ?

Une affaire qui fait "pschitt"
Mme Lagarde a bien plutôt cherché à plaire aux banques américaines pour montrer son indépendance vis à vis de ceux (les pays européens) qui l'ont fait élire au FMI. On voit aussi que cette histoire de ratio n'est pas sérieuse et l'on pourrait en plaisanter si la situation financière des Etats (plus que celle des banques) n'était celle d'une quasi-faillite. Et l'ont voit tristement où se situent les priorités de la nouvelle Directrice du FMI au sujet de laquelle j'ai déjà écrit que j'aurais préféré un économiste indien ... puisqu'il n'est pas politiquement correct de regretter ouvertement Strauss Kahn !

Pourquoi commenter ce non-événement ?
Parce que la Banque n'est qu'un instrument du Capitalisme qui n'est qu'un instrument de notre fonctionnement économique. Un instrument et pas un système idéologique ni moral qu'il s'agirait de détruire, de brimer, de punir ou de servir. Il s'agit seulement de bien l'utiliser. Ce qui pose problème c'est la complexité et les intérêts bien compris de ceux qui se servent de cette complexité à court terme et qui conduisent les institutions à dysfonctionner. Par exemple à prêter quand il ne faudrait pas puis à le cacher le temps que cela devienne ensuite des escroqueries planétaires (les subprimes). Comme sont des escroqueries les magouilles des dirigeants grecs qui n'ont jamais pu rééquilibrer leurs finances internes, mettre en place une fiscalité honnête et fait croire à leurs électeurs que cela pouvait durer éternellement... Comme finiront probablement par apparaître comme des escroqueries les pratiques de nos dirigeants qui ne savent depuis 50 ans équilibrer notre budget national qu'en augmentant la dette sans mener à leur terme les réformes nécessaires. Rappelez-vous du candidat Sarkozy qui s'étonnait: "il n'y a plus de frontières et non seulement il y a toujours des douaniers mais leur nombre a augmenté de plus de 10000 depuis qu'il n'y a plus de frontières ..." Qu'a fait notre manager-président Sarkosy de cet excédent de douaniers ? 

Je n'en veux pas plus aux douaniers qu'aux banquiers en fait. Ni même à Sarkozy plus qu'à Chirac ou à Mitterrand. La vérité c'est que rien ne se fait vraiment sur le fond et que personne même nanti du "AAA" ne peut vivre indéfiniment au dessus de ses moyens. C'est cela qu'il faut changer et non les ratios prudentiels des banques. Les raisons des déclarations de Mme Lagarde apparaissent dès lors bien dérisoires devant les véritables enjeux.

Pour finir voici deux citations que j'aime bien:
Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout.
"Il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par régler" Henri Queuille Ministre de la 3eme République et
"Tout finit par s'arranger, même mal" attribuée à Rudyard Kipling

1 commentaire:

  1. Si les banques étaient obligées d’augmenter leurs fonds propres, que pourrait-il se passer sur le marché de l’immobilier pour les particuliers, alors que les banques doivent posséder de l’immobilier ?

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