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mardi 10 décembre 2013

La dynamique du capitalisme ou le triomphe d'un pays neuf !

La Dynamique du capitalisme de l'historien Fernand Braudel mérite d'être relu. Il traînait dans ma
F. Braudel, photo: ledevoir.com
bibliothèque et à l'occasion d'un rangement qui avance du coup bien lentement, je l'ai relu avec bonheur en ces temps d'incertitude. Voici pourquoi je vous le conseille.

Une belle synthèse d'une œuvre magistrale

1976: le programme commun de la Gauche en France avait 4 ans et n'avait pas encore produit ses effets électoraux. C'était l'année des conférences prononcée par l'auteur à l'Université John Hopkins sur la dynamique du capitalisme et réunies dans cet ouvrage (mon édition date de 1985 et nous commentons ici celle de 2008). C'est ce qui explique que l'on présente cet ouvrage comme une "introduction" à l’œuvre de ce grand historien qui était alors en train de finir d'écrire Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle. Tome 1: Les structures du quotidien. Une introduction ? Non une sorte de résumé plutôt en à peine plus d'une centaine de pages d'une œuvre monumentale en 3 tomes qui était déjà presque écrite et qui parut en 1979. Le premier mérite de cet ouvrage est donc sa concision qui n'en fait aucunement une ébauche, plutôt une synthèse.

Revenir au sens des mots

Son deuxième mérite est, surtout en regard de la période actuelle, de recadrer les mots et les pratiques dans le temps long (plusieurs siècles) et dans un espace déjà global (méditerranéen et mondial) en relativisant les prismes de notre moment présent. Songez qu'il ne s'est passé que 35 ans entre la publication du troisième tome du Capital de Marx (finalisé par Engels) et la grande crise de 1929 ! Et celle-ci est intervenue seulement 25 ans après la publication de L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max Weber. Peu de champ donc pour vraiment comprendre les ressorts du capitalisme ni pour extraire ses spécificités des crises de l'industrie lourde du Nord Ouest Européen des années trente.

Le mérite du temps long

Or, plus d'un siècle s'est maintenant écoulé depuis ces ouvrages fondateurs et à combien de crises et de mutations le capitalisme a-t-il survécu ? Pourtant, à court de repoussoirs, confondant marché, économie de marché, libéralisme, capitalisme et capitalisme financier nombre de nouveaux "penseurs", pris dans le moment présent, oubliant de se référer au sujet même de leurs thèses font du capitalisme ce qu'il n'est pas: un système. Donc un "isme" qui comme d'autres s'effondrerait si l'on se décidait à le combattre pour mieux faire sortir de terre de nouveaux "ismes" sans doute... C'est le troisième mérite de Braudel et de sa vision longue que de nous replacer dans une perspective historique qui transcende obligatoirement les crises et les débats conjoncturels et qui nous rappelle les grands "glissements" fondamentaux que nous ne voyons plus. Citation p 70:

"Ce glissement définitif, à l'extrême fin du XVIè siècle, de la Méditerranée aux mers du Nord, est le triomphe d'un pays neuf sur un vieux pays. Et c'est aussi un vaste changement d'échelle. A la faveur de la montée nouvelle de l'Atlantique, il y a élargissement de l'économie en général, des échanges, du stock monétaire, et, là encore, c'est le progrès vif de l'économie de marché qui, fidèle au rendez-vous d'Amsterdam, portera sur son dos les constructions amplifiées du capitalisme. Finalement, l'erreur de Max Weber me paraît dériver essentiellement, au départ, d'une exagération du rôle du capitalisme comme promoteur du monde moderne."

Et si, vieux que nous sommes, nos crises et nos malheurs, réels ou fantasmés, étaient le fait non pas d'un "isme" pernicieux ou simplement des autres mais simplement de notre difficulté collective accentuée par notre "grand âge" à nous adapter à ces glissements ?

En quoi ceci nous concerne-t-il ?

Je range donc ce "vieil" ouvrage, pourtant très actuel, sur un rayonnage à côté des réflexions plus récentes d'André Comte Sponville:Le capitalisme est-il moral ? : Sur quelques ridicules et tyrannies de notre temps.  Il nous aide en peu de pages à mieux comprendre une composante essentielle de notre modernité telle qu'elle est que l'on soit parmi les gagnants ou les perdants de celle-ci, que l'on l'aime ou non. La seule chose qu'il a manqué à Braudel dans cet ouvrage c'est le temps de s'apercevoir que le capitalisme se sera à peine ré-acclimaté à Shanghai et à Bengalore que sa dernière mutation le dispense désormais d'avoir encore à se localiser ...

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