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samedi 24 mars 2012

Argent 4, entre incident de paiement et défaut de relation client

http://www.lavoixdunord.fr
Rétablissons le lien entre monnaie-instrument de paiement et monnaie-confiance. Ce faisant, c'est un pont improbable entre deux sujets de réflexion présents dans ce blog:  l'intérêt pour les monnaies communautaires et l'importance toujours pas bien comprise de la Gestion de la Relation Client en Entreprise et ses conséquences. Le tout, comme souvent, à partir d'une anecdote vécue:


Etape 1: comment passer rapidement du statut de client à celui de fraudeur

 
Un rendez-vous m'oblige à me déplacer en auto, je décide de passer à la pompe du Carrefour Market près de chez moi sur mon trajet de départ. Ce magasin a des pompes en libre service et d'autres avec paiement en caisse. Ma carte visa avait été refusée aux automates un soir et là, nous sommes en journée, je suis rassuré car si un problème survient, j'aurai affaire à une vraie personne.

Je me sers et passe en caisse dans mon véhicule. La carte est acceptée ainsi que le code ... la transaction est un peu longue. L'employée l'interrompt, la connexion est parfois difficile ... problème de ligne ... Après deux nouvelles tentatives (carte et codes à chaque fois acceptés), la caissière me demande un paiement par un autre moyen de paiement. Un autre moyen de paiement, pas une autre monnaie ! Le plein est important (presque le cinquième d'un RSA) et je n'ai pas assez de monnaie (!), j'ai fermé récemment mon autre compte Visa et je n'ai pas habituellement de chéquier ... Problème donc que je n'avais jamais expérimenté ... la caissière si !

J'insiste sur le fait que ma carte fonctionne habituellement (en fait, j'ai déjà eu un refus sur des automates cependant jamais à un guichet). Commence alors le petit jeu de la pression réciproque. Mon véhicule bloque toutes les pompes et d'autres clients attendent. Une dame viendra d'ailleurs fort désagréablement nous faire part de son inconfort du fait de la situation en demandant des explications de façon fort agressive. Je propose de demander par téléphone que mon épouse qui n'est qu'à 2 minutes de m'apporter un chéquier ... et ce n'est subitement plus une option. Il faut obligatoirement un paiement cash, "en liquide" insiste la caissière, liquide que j'ai dans le réservoir, pas sous la main. Je propose donc de signer une reconnaissance de dette et de passer le lendemain pour régler. Au passage, ce bout de papier-là est le signe d'une création monétaire mutuellement reconnue !

C'était prévu ! La caissière sort un imprimé, je n'ai qu'à signer. Ayant la mauvaise habitude de lire ce que je signe, je découvre une rédaction certainement abusive sur un plan juridique au terme de laquelle, passé un délai de 48 h, une procédure sera intentée contre le fraudeur pour "grivèlerie". Jusqu'ici j'étais un client mis en retard par son fournisseur, me voilà étiqueté fraudeur !

Etape 2: comment la "procédure" consacre l'abus de droit

Je signe en indiquant sur le document ne renoncer à aucun de mes droits car je n'entends pas reconnaître une quelconque fraude. De plus, ayant été victime en tant que client-patron d'entreprise d'une fraude mettant en scène certains de nos ex-employés et le caissier-pompiste d'un supermarché probablement complice, je commençais à trouver étrange un telle insistance à vouloir être exclusivement payé en "liquide"... suspicion réciproque !

L'échange quoique pénible du fait du regard exaspéré des autres clients, fut totalement courtois. Ce n'est aucunement une affaire de comportement ou une bête dispute où une maladresse en entraîne une autre ... je n'en aurais pas fait un article.

La caissière demande alors gentiment une pièce d'identité pour noter l'adresse puis ... refuse de me la rendre !  Je dois ensuite faire mes 300 km et en cas de contrôle routier ... mon permis de conduire devrait bien me suffire, entends-je ! Me voilà piégé car je suis bien élevé et l'on m'a appris qu'il est impoli de tenter de détruire l'hygiaphone et la petite baraque construite tout autour ! Je suis désormais furieux car me voilà symboliquement dépossédé de la preuve de ma citoyenneté et ceci de façon totalement arbitraire et sournoise. Je redemande ma carte d'Identité avec insistance. Nouveau refus. Argument magique: c'est la procédure ... face aux clients indélicats !

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, aucune possibilité de discussion ne semble exister, la procédure a heureusement tout prévu. Et deuxième argument magique, je serais bien le seul à avoir un compte ou une carte de crédit en état dont le paiement ne passerait pas s'il n'y avait pas une bonne raison (j'ai appris par la suite par le service Visa de la banque, que les incidents de connexion non élucidés représentent 2% des transactions, à vérifier !). J'abandonne donc ma carte d'identité nationale et je pars à mon rendez-vous. Pour l'auteur de "Stratégie de service" (photo de gauche), voilà bien un constat qui montre que la notion de "porte de sortie" proposée dans ce livre mériterait ... une nouvelle édition et un stage de formation pour le réseau Carrefour-Market.

Etape 3: comment le client s'oblige à devenir cyber-détective et reste fraudeur

Le lendemain, je vérifie auprès de ma banque que la demande de débit a été acceptée. Il arrive que la transaction mette 24 ou 48 h avant que la contrepartie comptable ne s'établisse. Le paiement est donc accepté et en instance (j'en ai la preuve sous forme d'une e-mail de ma banque), j'ai donc bien rempli mes obligations de client. En revanche, la caisse du supermarché n'a pas été créditée. Simple méchant bug, alors pourquoi tant de haine envers le client ? Cela devrait s'arranger.

Le service consommateur de Carrefour (fin du fin de la GRC) est "à l'écoute", bien "drillé" et poli, presque sympathique. Ils vont vérifier auprès du magasin (c'est une franchise). Et: ... c'est bien un défaut de paiement de ma part, ma carte d'Identité ne sera restituée que contre paiement ... Le tout dit de façon professionnelle sans qu'il puisse être imaginé que cette procédure abusive nuise d'une façon quelconque au client, ni par conséquent à l'image du groupe. Ma "preuve" n'est pas recevable, il faudra un relevé bancaire officiel (et attendre un mois donc bien après le dépôt de plainte par le magasin).

La Police me confirme que les stations services sont souvent victimes de fraudes et que l'on ne peut prendre ma plainte concernant ma carte d'identité... Il faut payer. Ceci est aussi un scandale car la Police semble méconnaître la défense des libertés les plus fondamentales mais il y a des causes plus importantes que celle-là, alors ... tout de même, j'insiste, je menace de saisir directement le Procureur de la République ... et puis l'adjudant est une femme qui m'a déjà entendu en tant que patron d'entreprise plusieurs fois victime d'autres faits et se souvient de moi.

Alors, elle convient que la position du magasin est illégale et propose de régler cela en appelant le Carrefour Market si zélé. J'y passe dans la foulée récupérer ma carte d'Identité auprès d'une responsable du magasin qui obtempère à contre-coeur. Je montre le mail de ma banque et j'espère que l'on va enfin facilement régler cela. Je propose de faire un chèque et de prendre sur moi de veiller par ailleurs à ne pas être débité du fait de la transaction toujours en cours. Nouveau refus: "c'est la procédure, en pareil cas (je suis donc toujours suspect de tentative de fraude) il faut payer en liquide, "en vrai argent", d'ailleurs puisque vous dites que votre carte de crédit fonctionne vous avez un distributeur pas loin ... sous-entendu si vous êtes vraiment de bonne foi, rien ne vous empêche de payer.

Etape 4: Relation Client-Canada dry !

Je prends donc encore un peu de mon temps puis je paie ainsi. Ma carte a été acceptée au distributeur bancaire, elle fonctionne, le problème est bien ailleurs. Hé bien cela ne change rien, ceci n'arrive qu'à moi semble-t-il. Et puis le système du magasin est fiable, il a été contrôlé, m'affirme-t-on ! La connexion ? Ce n'est pas au magasin de s'en occuper. C'est donc certainement au client de s'impliquer pour savoir où est le bug et assurément de vérifier qu'il n'est pas débité plusieurs fois ... Dernière faute de goût, personne dans le magasin n'a exprimé son regret quant à la gêne occasionnée ... et au temps que j'ai perdu.

Côté banque, plusieurs appels auprès du service Visa et de mon agence m'ont fait comprendre que personne ne sait précisément d'où vient le problème, probablement de l'opérateur des transactions. Personne ne fera de recherches ni d'ailleurs en s'engage à m'avertir au cas où la transaction fautive finirait par se boucler. Par contre, afin de me "sécuriser", je reçois (3 semaines plus tard) une nouvelle carte Visa (l'autre n'est pourtant pas en cause) ... avec une validité jusqu'à 2015. C'est de la fidélisation ça ! J'aurai droit à des excuses de la banque pour cela et toujours aucune explication. Les meilleurs auteurs en GRC (Gestion de la Relation Client) disent qu'un client mécontent est une opportunité de faire une nouvelle vente. Principe connu de ma banque. Il faudrait aussi se souvenir que cela ne marche qu'à la condition d'avoir préalablement rassuré le client en lui donnant par exemple une explication sérieuse et qu'il ait dit oui !

Les structures de "back office" (service consommateur de Carrefour, service Visa d'ING) peuplés de jeunes "execs" formatés et bien élevés n'ont pratiquement pas eu de valeur ajoutée. Sur le terrain, libre cours est laissé à du personnel peu formé, non-responsable et désagréable car parfois directement confronté à et souvent travaillé par la peur de l'agression. Malgré des années de discours marketing, de systèmes et de procédures, nous aboutissons à une impasse relationnelle dès que le système se grippe. Et au chien de fraudeur-payeur, de trouver les solutions aux failles d'un système qu'il entretient financièrement. Et c'est à encore à lui à qui l'on démontre d'un message violent que la boucle d'auto-contrôle ne se fera pas même s'il insiste et donc que l'apprentissage curatif n'aura pas lieu. Cela fait rêver d'autre chose ...

Thomasravaux.com
Faillite ordinaire et quotidienne de Carrefour Market que la prudence me conseille désormais d'éviter et faiblesse de ma banque (ING) qui m'oblige à ouvrir un deuxième compte Visa à la concurrence. Seul point positif, cette femme-adjudant que sa fonction a fait évoluer vers un rôle empathique de médiateur. Le "conciliateur du village", le seul qui ait su préserver la relation dans cette affaire, est donc ici la Police !

En quoi ceci vous concerne-t-il donc ?

Les structures, systèmes, équipes et managers mis en jeu dans ce type d'incident vous semblent ils au niveau de leurs prétentions ? La GRC n'est-elle pas le cataplasme managérial sur la jambe de bois procéduro-systémique de ces grandes organisations bureaucratiques et pourtant privées et incontournables qui encadrent notre vie quotidienne ?

Ajout du 20 Avril 2012:
 Sur ce point au moins ce billet aura peut-être un léger impact car lorsqu'on s'intéresse à la Relation Client chez Carrefour Market et que l'on saisit ces mots dans Google, le présent article sort en première page à la quatrième ligne:

Que se serait-il passé si j'avais été un petit jeune "basané" de notre banlieue difficile pas si éloignée, au volant d'une voiture déglinguée dans le contexte actuel de chasse aux sans-papiers ? Comment ce gamin-là aurait-il été "traité" et comment aurait-il interprété cela ? Tout ceci ne lui aurait-il pas paru hypocrite et injuste ? Aurait-il pu comprendre la complexité sous-jacente et dominer les émotions violentes qui ne manquent pas d'assaillir le mammifère quand il se sent grugé ou menacé ?

Enfin, revenons à la monnaie. Bernard Lietaer la définit comme un accord. Ce moyen de paiement instantané, facilitateur et sans frontière que représente ce morceau de plastique coloré appelé carte Visa est un sésame. Grâce à lui, on nous accorde une confiance relative qui permet l'échange économique. Parfois, ça bugue si l'on ne peut interroger votre crédit en ligne ! Et là, on revient à la monnaie papier qui semble plus concrète car la confiance s'envole. Plus de confiance dans le système de paiement, plus de confiance entre client et fournisseur. Ralliement à la procédure pré-établie et non-apprenante. S'installe alors immédiatement la violence symbolique de la menace juridico-policière. On peut comprendre aussi que parfois cela dérape ... où l'on comprend la nature relationnelle de la monnaie.

Il est urgent de disposer de monnaies communautaires. Elles offriront entre autres une alternative en cas de problèmes de paiement (dont la cause est la pauvreté bien plus sûrement que le ridicule bug que je rapporte ici). Ces monnaies apporteront à tous niveaux (individus, familles, voisinage et aussi entreprises !) un surcroît de confiance, de lien et de bon sens dont nous avons besoin pour continuer à assurer, malgré les crises, la survie d'une société un peu plus saine.

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