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dimanche 5 février 2012

Egalité et communalité: de Pierre Rosenvallon à Richard Wilkinson

Pierre Rosenvallon
Richard Wilkinson
A peu près en même temps, cet été, sortait le livre  du sociologue Pierre Rosenvallon  « la société des égaux » quand l'épidémiologiste anglais Richard Wilkinson s'exprimait à TEDGlobal à Edimbourg sur l'influence des disparités nationales de revenus. Je voudrais ici vous proposer une passerelle entre deux disciplines et deux cultures pour montrer que les grands esprits se rencontrent et rejoignent les observations que nous faisons couramment et d'autant plus que nous sommes confrontés aux incertitudes de nos crises et que la campagne électorale qui commence ne permet vraiment pas de se faire une idée.

Déficit démocratique et besoin de « communalité » :

La petite vidéo suivante résume les thèses de Pierre Rosenvallon, sociologue reconnu, de centre-gauche, en quête de refondation des idées de son parti dans ce livre :


Nos sociétés se sont développées, mais surtout au profit des 1% les plus riches. Il y a comme un risque de retour à la situation des rentiers du 19ième siècle. La démocratie électorale est bien vivante mais l'inégalité arithmétique croissante des revenus et des patrimoines crée un délitement de la confiance et de la "démocratie sociale". Cela signifie que la réciprocité sociale et le respect des singularités ont perdu du terrain et la « communalité » de notre société qui avait si bien progressé au 20ième siècle a fait place à l'individualisme, aux ghettos, aux communautarismes … La nouvelle situation ainsi créée nous fait courir le risque de la perte de la cohésion et du « sens »... Pour en savoir plus:
A quel point ces constructions théoriques d'un sociologue recoupent-elles vraiment la réalité ? Est-ce mesurable par exemple ?

De l'influence de l'écart de revenus moyens sur la qualité de vie :

Les travaux suivants appuyés principalement sur l'analyse des différences de revenus à l'intérieur d'un même pays semblent conforter la thèse de Pierre Rosenvallon de façon très graphique. L'épidémiologiste anglais Richard Wilkinson nous a parlé à Edimbourg cet été du résultat de ses analyses en croisant principalement deux facteurs: l'un, économique est l'écart national de revenus  moyens par tête entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres, l'autre facteur est un indice variable et composite de qualité de vie. Il comprend des choses comme: le taux de mortalité infantile, la longévité, le taux d'addiction, le taux de criminalité …dans le but de mesurer et de se faire une idée de la qualité de vie dans les pays considérés et de la comparer.



Wilkinson  démontre, en scientifique, que plus une société est inégalitaire et plus cet indice composite de qualité de vie est défavorable.  L'exemple ci-dessous traite de la corrélation troublante entre problèmes de santé et sociaux et l'écart de revenu moyen entre extrêmes:

Par opposition, le même indice croisé selon le niveau moyen absolu de revenus par tête: des différences existent toujours mais ce n'est pas le niveau moyen de revenu par tête dans l'absolu qui l'explique. Le Portugal fait presque aussi mal que les USA alors que le revenu par tête y est deux fois moindre. Vient ensuite la Grande Bretagne qui a le même revenu moyen que le Japon qui lui, est tout en bas c'est-à-dire qu'il a le meilleur résultat...

Vous direz peut-être que où que ce soit il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade ... Mais l'évidence doit être interrogée plus finement. Un trader de Singapour (ou de New York) a une espérance de vie supérieure à celle d'un paysan malais ou ghanéen mais bien moindre que celle d'un paysan aveyronnais ou d'un employé finlandais...

Pour en savoir plus:
L'argent ne fait pas le bonheur (mais il y contribue)

Buste d'Epicure
Les deux recherches présentée ici se répondent et font échos à beaucoup d'autres depuis ... les philosophes antiques. Pierre Rosenvallon parle d'abord de la dégradation de la société française et Wilkinson situe notre pays dans le milieu des pays étudiés.  Moyennement égalitaire, moyennement heureux ! Notre passerelle entre sociologie française et épidémiologie anglaise aboutit à un constat que de plus en plus de chercheurs de disciplines diverses partagent et qui recoupent nos observations quotidiennes. Les préoccupations strictement utilitaristes ne parviennent donc ni à fonder une société raisonnablement harmonieuse, ni à conduire les individus sur le chemin de la « vie bonne » chère aux philosophes antiques.

Dit autrement: l'argent ne fait pas le bonheur, le lien oui ! Je le dis pour ceux qui croient au complot mondialiste. Se replier sur nous-mêmes et notre passé glorieux n'est pas la bonne voie: citoyen français ou citoyen du monde, même combat, les faits sont têtus, ils disent la même chose partout. En plus pour nous, français, constatons que nous vivons dans deux illusions dont la confrontation nous renvoie à notre "bonne moyenne". Sur le graphiques de Wilkinson, la France n'est objectivement ni l'enfer qui nous conduit à être les champions du monde des anti-dépresseurs, ni ce pays de cocagne que l'humanité nous envie (... "wie Gott in Frankreich" ...) et qui reste la destination n°1 du tourisme dans le monde. La France est comme souvent dans une situation moyenne, intermédiaire ... Peut-être cela lui permet-elle plus qu'à d'autres de choisir d'évoluer dans un sens ou dans l'autre ?

La transformation discrète est à l'oeuvre:

Graphe de N. Christakis
Les constats actuels que nous sommes nombreux à faire sur le dérèglement de notre société du "tout-économique" sont donc partagés par les chercheurs les plus sérieux. Ils sont eux-mêmes autant de "noeuds" propageant cette idée dans un réseau complexe qui soutient ce changement "discret". Des pistes intéressantes s'ouvrent peu à peu. Je vois en plus ici dans cette silencieuse évolution des mentalités à l'époque du "TED-age", un début de contribution mesurable (au moins dans le travail de R. Wilkinson) pour une agence de la gouvernance dont je parlais ici.

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